Le quotidien de la famille Nguelem

avait trouvé sa forme définitive : un équilibre étonnant, doux et

béni.

Romuald se levait tôt chaque matin pour se rendre à

son centre de santé flambant neuf, construit par Solange en son

honneur. Il exerçait avec passion, épaulé par Paul, son ancien

infirmier du centre Jamaux, devenu son bras droit et confident.

Ensemble, ils soignaient avec foi et humanité.

Stéphanie et

Solange, elles, avaient repris ensemble la gestion de l’entreprise

de communication fondée par Solange avant sa chute. Elles

dirigeaient à deux, dans une complémentarité parfaite. Stéphanie

s’occupait des ressources humaines, de l’organisation. Solange,

de la création et des relations publiques. Chaque réunion

était une chorégraphie d’équilibre,

chaque succès une victoire partagée....

La petite Grâce grandissait vite. Ses

premiers sourires, ses premiers gestes, apportaient une chaleur

nouvelle dans la maison. Mais ce n’était pas seulement l’enfant

qui transformait le foyer.

C’était aussi ce qui s’était

passé entre Stéphanie et Solange.

Après l’épreuve, après

les larmes, après les silences… une relation inattendue était

née. Une complicité sincère, profonde. Nourrie non pas de

souvenirs partagés, mais de blessures communes. Et surtout : d’un

amour guidé par Dieu.

Stéphanie et Solange étaient devenues

inséparables. Pas comme deux anciennes rivales. Mais comme deux

épouses partageant un même mari dans le respect, la foi et

l’harmonie....

Tout avait commencé par une fatigue

étrange.

Solange, d’ordinaire dynamique depuis quelques

semaines, s’endormait de plus en plus tôt. Elle avait des nausées

le matin. Stéphanie, qui la connaissait maintenant comme une sœur,

la regardait en silence, soupçonneuse.

— Tu vas bien ?

demanda-t-elle , en lui tendant une tisane.

Solange hocha la

tête, pâle.

— Juste un peu fatiguée…

Mais dans

ses yeux, quelque chose d’inquiet brillait.

Le soir, elle

s’enferma dans la salle de bain. Longtemps. Lorsqu’elle sortit,

elle tenait un test de grossesse dans la main.

Elle alla

frapper doucement à la porte de la chambre de Stéphanie.

Le soleil se levait doucement sur

Bastos.

Dans la maison Nguelem, une routine paisible s'était mise

en place.

Romuald reprenait peu à peu ses responsabilités à

la congrégation. Il participait à nouveau aux réunions, donnait

parfois un commentaire, même si ses interventions étaient plus

humbles qu’autrefois. Il avait compris : la foi n’était pas un

décor. C’était un combat.

Stéphanie, elle, avait repris

confiance. Elle ne souriait pas tout le temps. Mais quand elle le

faisait, ce n’était plus un masque. C’était vrai.

Et ça

suffisait.

Les semaines passèrent.

Et

contre toute attente, la cohabitation devint possible.

Rien

n’était normal. Rien n’était oublié. Mais quelque chose

s’installait. Un rythme. Une nouvelle façon de vivre.

Solange

s’occupait des enfants avec douceur. Sans excès. Elle ne se mêlait

pas des conversations du couple. Elle priait seule, chaque matin.

Elle ne touchait jamais Romuald. Et ne restait jamais seule avec

lui.

Tout cela n’était pas imposé. C’était…

instinctif. Comme si elle sentait que sa présence ne tiendrait qu’à

un fil. Et elle ne voulait plus que ce fil casse.

Le retour à Bastos fut

silencieux.

Solange s’assit dans le salon, droite, raide,

les mains sur les genoux. Elle n’osait rien toucher. Elle n’osait

même pas respirer fort.

Stéphanie prépara du thé. Romuald

rangeait nerveusement des papiers sur la table, comme si l’ordre

des objets pouvait rétablir l’ordre de leur vie.

Quand elle

posa la tasse devant Solange, celle-ci murmura :

— Merci…

je n’ai rien fait pour mériter ça.

Stéphanie la regarda,

sans sourire.

— Ce n’est pas une récompense. C’est un

départ.

Les premiers jours furent étranges.

Solange

dormait dans la chambre d’amis. Stéphanie avait repris sa place

conjugale, mais sans geste tendre. Pas encore. Les gestes d’amour

demandaient du temps.....

La nuit qui suivit leur visite au

centre Jamaux fut longue.

Ni Romuald, ni Stéphanie ne

dormirent.

Ils restèrent assis dans le salon, face à face,

dans un silence qui n’était plus hostile… mais chargé de

souvenirs, de douleurs, et de quelque chose d’inattendu : une sorte

de paix fragile.

— Elle n’est plus dangereuse, dit

Romuald. Je l’ai vue… c’est une coquille vide. Une femme en

ruines.

Stéphanie acquiesça.

— Et pourtant… c’est

dans ces ruines qu’on trouve parfois la vérité.Il la

regarda, sans comprendre.Elle inspira profondément.....

Stéphanie rentra chez sa mère en

silence.

Elle ne répondit pas aux questions. Elle se coucha

tôt. Mais elle ne dormit pas.

Toute la nuit, le visage de

Solange lui revint. Ce regard perdu. Cette voix calme, pour une fois.

Ces mots étranges mais profonds.

Elle n’avait rien vu d’une

manipulatrice. Ni d’une voleuse de mari.

Elle avait vu une

femme brisée. Une âme abandonnée à elle-même.....

Le centre Jamaux semblait un monde à

part. Une île de douleur suspendue hors du temps. Des couloirs sans

musique, des pas feutrés, des chuchotements.

Solange n’était

plus en isolement strict, mais elle restait sous surveillance.

Elle

mangeait peu. Dormait peu. Mais elle parlait. De plus en plus. Et

toujours les mêmes noms.

Romuald.

Stéphanie.

Jaëlle.

Cédric.

Les

médecins notaient. Évaluaient. Disaient : obsession fixée.

Mais

Paul, l’infirmier, voyait autre chose.

Il voyait une âme en

attente.

Pas d’un médicament.

Mais d’un pardon.......

Elle était rentrée de chez sa mère

et avait préparé ses valises depuis deux jours.

Mais ce

n’est que ce matin-là qu’elle trouva la force de les

refermer.

Pas avec colère.

Pas avec haine.

Mais avec

cette tristesse paisible qu’on ressent lorsqu’on sait que quelque

chose est fini.

Elle avait prié. Longtemps.

Cherché un

signe. Une voix. Une paix intérieure.

Mais au lieu de

réponses, elle avait reçu du silence.

Un silence profond.

Un

silence de Dieu.