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By Les échappées belles
The podcast currently has 30 episodes available.
Les toiles de Matisse renvoient à un même paysage : celui de la jouissance intérieure. La contemplation d’un monde qu’il est bon de voir pour le goûter. Ses fenêtres ouvertes regardent le rivage méditerranéen, ses femmes dansent, ses intérieurs sont nappés de tissus chauds. Corps et nourriture, étoffes et rebords de ciel. « J’ai conscience de m’exprimer par la lumière ou bien dans la lumière, qui me semble comme un bloc de cristal dans lequel se passe quelque chose. » Matisse nous dit aussi cette chose admirable : « Le bonheur de vivre est un choix. » Qu’on aimerait faire de cette phrase un totem, une boussole pour la haute mer. Communiquer l’allègement, mais d’abord l’atteindre. Ça peut être le but d’une vie. Par là serait le partage. Par là une possible restitution de la grâce de vivre. Et si avec le temps qui passe, venait si on la cherche, la grâce de pouvoir encore se considérer comme en apprentissage, en chemin, en mission d’apprendre à vivre, et à restituer la beauté du monde ?
La steppe est un récit court, d’une vitalité imagée, un hymne élégiaque à la nature écrit par un Tchekhov jeune, qui convoque son enfance et rend ainsi hommage à ses prédécesseurs, les grands lyriques de la littérature russe.
Tchekhov est avant tout un monde sonore. La richesse inépuisable de son œuvre tient à l’air qui y circule, et cet air, c’est de la musique. Un petit garçon, Iégorouchka, est emmené par son oncle vers la grande ville. Il va découvrir la vaste steppe, et faire toutes sortes de rencontres. Il va dormir, veiller, vivre des choses vraies et des peurs enfantines. Le tout rythmé par les multiples soubresauts de la nature sauvage, en même temps que des humeurs humaines.
Il y est question d’un petit garçon en devenir, de vieilles gens dont les corps résistent et fatiguent, mais surtout, au-delà de toute nostalgie, au-delà de la perte des choses, il y a en fin de compte la permanence infinie de la steppe, l’infini de ses horizons et de ses lignes.
Guillaume Apollinaire et le 202 bd St Germain ; son dernier appartement, fait d’un agencement de mansardes ou de greniers sous les combles, où il a vécu du début de l’année 1913 jusqu’à sa mort en novembre 1918. Son pigeonnier disait-il.
Michel Décaudin, André Rouveyre, André Billy, Gabrielle Picabia, et Max Jacob, sont les témoins et racontent.
L’antre où le poète aimait aimer, cuisiner, recevoir ses amis, rêver sur un toit, fêter l’an neuf, collectionner ses souvenirs, grimper et descendre, Paris en dessous, où il déambulait en scandant des chants grégoriens.
On a tous une maison natale, même si on ne l’a pas eue.
Des petits rituels, des objets à toucher, des souvenirs à sauvegarder, faire comme l’oiseau ses brindilles. Habiter, c’est aussi du présent, de l’avenir qui se dessine avec force. A chacun sa manière de faire avec, faire corps, tenter l’adaptation, et le monde autour, comme une chrysalide, formera le sens, nos sens, nous rendra visibles à nous-mêmes, aux amours à vivre.
Ces façons d’habiter, en littérature, ont des saveurs diverses, selon d’où elles viennent. Gaston Bachelard, Reiner Maria Rilke, Marcel Proust et William Faulkner ; mais aussi le ventre de la baleine de Pinocchio, un récit initiatique, aller jusqu’au fond de l’obscur, les cavernes, les grottes, avant de recréer la lumière qui nous fonde. Et enfin, un rire d’intelligence, celui de George Perec, grand écrivain du jeu, du je, qui sait le tragique, joue avec une virtuosité unique des biais du regard, sans jamais oublier le rire. Pérec aime le verbe « habiter »...
Une longue route pour un très grand roman : la Montagne magique de Thomas Mann. Une expérience intérieure, presque fantastique, du temps.
Cette montagne est magique en ce qu’elle recèle et révèle, ouatée, de l’immobilité d’un groupe, entre la salle à manger et les balcons, les promenades dans la neige, les saisons qui passent… Comme pour le Quatuor d’Alexandrie, objet de notre précédente échappée, si on ouvre à n’importe quelle page, on se trouve confrontés à une paroi de l’extrême : l’extrême d’un climat, d’un risque, d’un enivrement, d’une frayeur ou une torpeur.
Autre quête insondable, autre voyage immobile : Moby Dick, d’Herman Melville… Il ne s’agit pas de comprendre, mais de sentir. Vivre, la grande affaire des hommes. Il y faut la magie des cartes. A la clarté des lampes, l’enfant rêve. Nous sommes les enfants. Nous lisons la Montagne magique, le quatuor d’Alexandrie, Moby Dick…
J’ai choisi ce titre, voyage immobile, en pensant à mes lectures au long cours, celles qu’on a parfois du mal à tenir, mais qui sont les plus marquantes, de vrais voyages, dont on ne sort pas indemnes.
On peine un peu, on aimerait bouger, on se laisse distraire. Mais que c’est bon de l’avoir traversée, cette épaisseur des pages, épaisseur de climats, ce poids des choses. Voyage immobile, n’est-ce pas le cas finalement aussi des voyages réels ? Beaucoup de transits, d’attentes quelque part entre deux destinations, puis des contemplations, de la fatigue, récupération, tempes qui bourdonnent ; étrangeté, déracinement, sidération peut-être ?
Les voyages sont surtout – toujours – voyages intérieurs. C’est bien ce qu’on leur demande en fin de compte. Commençons par « le Quatuor d’Alexandrie » de Lawrence Durrel. Quatre tomes : Justine, Balthazar, Mountolive et Cléa ; du nom de ses protagonistes, mais le vrai sujet de l’ensemble est la ville : Alexandrie.
1928, un livre de Marc Chagall, le seul qu’il aura écrit : « Ma vie ». La dédicace : « à mes parents, à ma femme, à ma ville natale ».
Dans ce livre, il n’y aura que le début jusqu’aux années 1922. On le sait, Chagall vivra beaucoup plus longtemps, et sa route sera riche, d’œuvres, de femmes, de passion ; de conviction.
Une échappée Belle ne peut tout dire de cette vie. Je vais donc vous faire partager quelques bribes de ses premiers élans ; les questions de l’enfance, les images qui, comme pour nous tous, restent obstinément derrière les yeux, dans la mémoire et dans l’âme, et forge notre vision du monde. Oh combien celle de Chagall a été imprégnée de ses premières années, de sa Russie natale, de la tradition juive dans laquelle il a été élevé, des paysages, sons, couleurs, visages et partages de ce vaste univers aux confins de l’Orient, avant qu’il ne vienne en France, que la guerre, les guerres…
Mon invitation aujourd’hui, se promener, se baguenauder, dirait Raymond Queneau, dans les allées hautes en couleur des fêtes foraines, au royaume de la barbe à papa et des rencontres chaloupées.
Nous sommes à la fête, dans le Paris populaire qu’aime Queneau, dans les lisières, les marges, les espaces poétiques, fantaisistes, les rencontres hasardeuses, quoique toujours tendres et sans conséquences graves.
Qui n’a pas gardé en mémoire ses étonnements d’enfant devant les manèges, les grandes roues, un orgue de barbarie ?
C’est avec « Pierrot mon ami » que nous embarquons. Tout un monde, hors-norme, ailleurs, mais une agitation dont la ville, le village, ont besoin. La fête. Et avant la fête, au Moyen-âge, la foire. Au XIXe siècle les couleurs flambent, les excès de chair… Au tournant de la Belle Époque, les carrousels sont des bijoux de mécanique, des merveilles pour l’imagination des clients. Et puis vient le cinéma. Le cinéma adore les fêtes foraines…
La trame d’un texte, la chaine narrative d’une histoire, suivre le fil d’un récit; le même mouvement, geste et pensée, rêverie, trouée d’air et consistance. Ce qui apparait, ce qui se devine. Va… et vient ?
Comme le tissage. Tissus et littérature, tissus et peinture… Vélasquez ou Proust, ces « épingleurs » de papillons, passent par le vêtement pour aller droit au cœur, à l’âme de leur personnage. C’est un monde bien précis, indissociable et unique, qui surgit de ces images, de ces mots. Rien de flou ni d’interchangeable. Dans les contes, les petites filles rêvent d’une robe couleur du temps… et osent -ou pas- la demander à leur père.
Quant à la comédie musicale hollywoodienne, elle a parfois enchanté ce que la mode peut en nous transfigurer d’un bonheur qui pétille.
Le monde des vêtements, ce sont des bribes d’histoire, de matières et de mots, d’images. Ce que nous sommes, chacun, quand nous nous habillons, ce que nous donnons à voir, à lire, sur nous, est ce qui nous relie et nous sépare de l’autre.
Nous et une époque, car bien sûr nous sommes forcément « de notre temps ». Impossible d’évoquer un vêtement, ou un costume, sans que s’engouffre une époque. Des réincarnations romanesques, des tableaux, des imaginations de ce que nous croyons être le Moyen-âge, la Renaissance, le siècle de Louis XIV… de ce nous croyons voir encore venir jusqu’à nous.
Avec ce voyage dans le temps, nous glissons vers le portrait, et dans un portrait, tout est signe.
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