Du lundi au vendredi, un reportage pour mieux connaître la société française et comprendre ses débats.
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C’est le procès dont on parle le plus en ce moment en France : celui des viols de Mazan. Cinquante hommes jugés à Avignon et accusés d’avoir violé Gisèle Pelicot, droguée à son insu par son ex-mari avec des anxiolytiques pendant 10 ans. Droguer une personne sans qu’elle ne s’en rende compte, à des fins délictuels, c’est ce que l’on appelle la soumission chimique. Une pratique loin d’être nouvelle, mais davantage médiatisée à l’occasion du procès Mazan. Pourtant, elle reste largement méconnue des professionnels de santé. Alors pour les aider à repérer et accompagner les victimes, des formations leur sont proposées, comme à l’Assemblée nationale.
Ils sont médecins, sage-femmes, urgentistes et, pour beaucoup, toujours en études. Ils arrivent avec leurs interrogations. « Si on a une suspicion de soumission chimique, ne vaut-il pas mieux faire des prélèvements sanguins et urinaires dès les urgences ? », s’interroge une participante. Pour lui répondre, une médecin-légiste, spécialisée dans la prise en charge des victimes de soumission chimique : « Il faudrait former des professionnels, des infirmiers dans votre service qui soient en mesure de s’assurer que ce qui a été prélevé, a été prélevé correctement, dans les bons tubes. »
Au dernier rang, Flavie griffonne quelques notes sur son carnet. En septième année de médecine générale à Paris, en France, elle n’a jamais étudié la soumission chimique : « On nous parle beaucoup des violences conjugales, des cycles de violence, mais c’est vrai que la soumission chimique, on n'en a pas entendu parler dans le cadre de nos études », observe l’étudiante.
La soumission chimique est un impensé des manuels scolaires. Si bien que Margaux, étudiante sage-femme, l’assure : elle aurait bien du mal à déceler les symptômes d’une victime et à la prendre en charge : « Je n’en suis clairement pas capable et c’est pour cela aussi que j’ai choisi de venir, pour me former à cela, car je n’étais pas du tout à l’aise avec la question. C’est essentiel pour notre formation et pour que l’on puisse voir des femmes dans n’importe quel cabinet, dans n’importe quel service et pouvoir les aider. »
« Il faut en parler et vulgariser »
Aider, conseiller la victime, l’orienter vers le meilleur interlocuteur, c’est l’objectif de cette formation. L’intérêt est aussi d’éviter les errances médicales identifiées au procès Mazan. Gisèle Pelicot avait alerté ses médecins, évoquant des douleurs gynécologiques, des pertes de mémoire, mais aucun n’avait établi de lien avec la soumission chimique. Pour la gynécologue Ghada Hatem, fondatrice de la Maison des femmes, ce sont donc de nouveaux réflexes qu’il faut acquérir : « Quand une personne va voir le médecin et lui dit : "Je me sens bizarre, je m’endors facilement", au lieu de dire : "Elle est folle", il faudrait tout de suite penser à des substances qu’elle prend malgré elle. Il faut toujours interroger le patient qui, peut-être, vit des choses dont il ne va pas vous parler spontanément. Mais si vous posez la question, il va vous les dire. »
L’autre question posée par le procès Mazan est de savoir comment l’ex-mari de Gisèle Pelicot s’est procuré autant d’anxiolytiques, sans que cela alerte son pharmacien. Pour Ghada Hatem, il faut engager une réflexion autour du médicament : « Vous pouvez aller avec une ordonnance dans quatre pharmacies ou bien chez trois médecins différents en disant : "J'ai du mal à dormir". Chaque médecin, en toute bonne foi, va vous prescrire une, deux ou trois boîtes d’un médicament. Donc, il faut réduire les stocks. Et malheureusement, aujourd’hui, on ne contrôle pas trop ce que les gens achètent. C’est pour ça qu’il faut en parler, et vulgariser. »
Après une journée d’écoute attentive, Flavie confirme l’intérêt de cette formation : « C'est intéressant de savoir comment cela fonctionne et comment les patientes sont prises en charge. Ça devient plus concret. » L’étudiante promet de partager ce qu’elle a appris avec d’autres étudiants.
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C’est une statue qui fait polémique. À Toul, dans la région Grand Est, une sculpture du Général Marcel Bigeard a été érigée le mois dernier. Célébré comme héros de la résistance et de la guerre d'Indochine, le militaire cache aussi un passé de tortionnaire au temps de l’occupation française de l’Algérie. Un visage terrifiant que n'ont pas oublié les Algériens victimes de ses méthodes et leurs descendants, dont certains résidents aujourd'hui, à Toul, à deux pas de la statue récemment sortie de terre.
De notre envoyée spéciale à Toul,
L’hiver en France s’annonce difficile sur le plan social. D’après les services de l’État, plus de 50 000 entreprises seraient en difficulté en France. Le ministre de l’Industrie dit s’attendre à des milliers de suppressions d’emplois dans les mois à venir. La CGT avance même le chiffre de 150 000 emplois menacés. Début novembre, Auchan et Michelin ont donné le « là » avec des plans sociaux qui laissent plusieurs milliers de salariés sur le carreau. Le spécialiste du pneu va fermer deux usines à l’ouest de la France, à Vannes et Cholet. Cholet où les salariés tentent de faire face.
Devant l’usine, les salariés en colère ont amassé un gigantesque tas de pneu surplombé d’une potence, où se balance au bout d’une corde un mannequin vêtu du bleu de travail des ouvriers d’ici. « Michelin assassin » est tagué avec rage à côté du pendu.
À l’arrière, les grilles sont fermées, protégées de part et d’autre par les salariés. Bastien You, ouvrier et militant CGT, explique que le camion qui devait livrer les matières premières à l’usine est empêché de rentrer : « On est quelques-uns à être en grève ou en absence indemnisée. C'est protéiforme, cela ne rentre pas das des cases. Mais ce qui est sûr, c'est que depuis deux semaines, il y a 150, 200 travailleurs qui se relaient pour tenir le piquet, le jour et la nuit. Là, on a des camarades qui sont venus pour empêcher le camion de rentrer. Parce que, même s'ils se disaient qu'aujourd'hui, ils n'avaient pas les moyens de faire grève, ils n'ont aucune envie que les camions repartent, car c'est leur seul moyen de pression face à Michelin. »
Un sentiment d'abandonDans la foule des ouvriers, Mohamed, 36 ans chez Michelin : « C'est un dégout total parce qu'en 36 ans, on pensait connaître la boîte, mais on s'aperçoit qu'ils n'ont aucun respect pour l'humain, ils nous ont pressé comme des citrons. J'étais en équipe, donc on est complètement usés : des problèmes de tendinite aux épaules, aux genoux, et puis maintenant qu'on est détruits, ils nous balancent vulgairement quoi ! »
Xavier Cailloux, délégué syndical CFDT, est résigné. Pour lui, l’avenir du site est scellé, la production ne reprendra après 2026 : « C'est donner un faux espoir aux salariés et les salariés n'ont pas besoin d'avoir de faux espoirs. Il faut avoir une certitude. Une certitude de partir avec un chèque décent, une certitude d'avoir une formation à la hauteur de ce qu'ils ont besoin pour pouvoir se reconvertir, C'est quand même une population – comme beaucoup d'usines françaises – assez vieillissante. Donc, on ne se reconvertit pas comme cela, il faut se donner les moyens. Il n'est pas question que 20 %, 25 % des gens qui sont là, moi y compris, après tout ce qu'on a donné, finissions notre carrière au chômage, comme des malpropres. »
« Préparé depuis très longtemps »L’usine de Cholet a 60 ans, les locaux sont vétustes, et malgré plus de 3 milliards d’euros de bénéfices en 2023, Michelin n’a pas investi dans le site, déplore Richard Grangien, délégué syndical CGT : « Nous avons des bâtiments qui sont vétustes, l'atelier des cuissons qui s'écroule même, c'est un atelier qui est sur deux étages. C'est bourré d'amiante, le sol s'écroule. Donc, oui, il n'y a pas eu d'investissement du tout, cela est sûr. C'est préparé depuis très longtemps, cela ne vient pas du marché chinois qui se réveille ou quoi que ce soit ! »
Après quelques heures, le camion finit par rebrousser chemin sous les applaudissements des ouvriers, les huissiers mandatés par la direction ont acté le blocage. Une joie de courte durée, car beaucoup s’inquiètent pour l’avenir.
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En France, certains parents sont en grand désarroi. Alors qu'une dizaine de millions d'élèves sont scolarisés, d'autres enfants restent sur le banc de touche et peinent à trouver une place dans un établissement en raison de leur handicap. On estime qu'ils sont au total 11 000 à attendre une place dans un Institut médico-éducatif. Parmi eux, il y a Kahil, 9 ans qui est né avec un handicap moteur et mental. Rencontre avec Kahil, ses parents Iteb et Jean-Christophe Moreno et sa sœur Inaya, dans un parc de jeux à Gênas, dans la banlieue lyonnaise.
C'est un petit bonhomme de neuf ans qui ne tient pas en place, nous dit sa maman : « Il adore jouer, il bouge beaucoup, beaucoup, beaucoup. Il a vraiment besoin de contact avec les gens. Il est demandeur de cela. C’est un enfant qui a la joie de vivre. » Et c’est aussi l’avis de son père Jean-Christophe : « On a du mal à l'arrêter, c'est le genre de petit garçon où l'on cherche le bouton pour l'éteindre, parce qu'il est toujours en train de courir, sauter. »
Khalil souffre du syndrome de Rubinstein-Taybi (SRT), une maladie rare qui engendre un retard physique et mental. Âgé de neuf ans, Kahil a l'âge mental d'un enfant d'un an et demi, il ne parle pas. On comprend facilement que même le dispositif Ulis, qui propose au sein de l'établissement scolaire un enseignement adapté, n'est pas fait pour lui. « C’est un bon dispositif, mais ce n'est pas adapté au handicap de Kahil, parce que Kahil est handicapé à 80 %, déplore sa maman, Iteb. C'est pour cela qu'il lui faut une école adaptée. Il est inscrit dans plusieurs écoles spécialisées. On appelle des IME (Institut médico-éducatif, NDLR) Il est sur liste d'attente, cela fait six ans. On a eu beaucoup de refus, personne ne prend Kahil. »
Pourtant, le petit garçon pourrait progresser et s'épanouir. Mais pour cela, il a besoin d'une approche pluridisciplinaire dispensée justement par un IME, comme l'explique Jean-Christophe, son papa : « Dans ces instituts, on a des professionnels de chaque métier, des psychomotriciens, des psychologues, des kinésithérapeutes et du coup un corps médical qui va pouvoir l'accompagner tout au long de sa "scolarisation", pour qu'au moins, ils puissent le faire progresser. »
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« Rien n'est adapté pour les enfants handicapés »Seulement, le nombre de places en IME n’a pas évolué depuis 20 ans. Iteb dénonce l’hypocrisie des dirigeants quand ils parlent d'écoles inclusives : « Dans leurs discours, c'est "On inclut les enfants handicapés". Dans la réalité, ce n'est pas du tout le cas, rien n'est adapté pour les enfants handicapés, c'est un calvaire. Donc ce n'est pas de l'inclusion, c'est tout l'inverse. »
Faute de solution, Iteb et Jean-Christophe ont eu l'idée d'ouvrir un Big Top, un immense parc de jeux pour occuper et s'occuper de leur fils. « Il faut toujours être sur le qui-vive. Regardez, depuis tout à l'heure, je reste avec Kahil, je le surveille parce qu'on ne sait jamais. Il n'y a pas de moment de répit, à part quand il dort. »
Pas de scolarisation donc pour Kahil et forcément des conséquences sur la vie familiale. L'enfant de neuf ans prend beaucoup de place. Mais Inaya, sa petite sœur en robe de princesse ce jour-là, n'éprouve pas de jalousie. Du haut de ses six ans, elle comprend que ses parents s'occupent particulièrement de Kahil. « Ce n'est pas grave. Moi, je sais faire, je n'ai pas besoin d’aide et j'aime mon grand frère, plus que tout. »
La petite fille prend les mains de Kahil, qui balance ses bras, et lui chante une chanson.
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La principale organisation agricole appelle à la mobilisation lundi 18 novembre partout en France : La FNSEA veut dénoncer le Mercosur. Le traité de libre-échange entre l'Union européenne et des pays d’Amérique du Sud, examiné à Rio au G20, porterait atteinte à la souveraineté alimentaire de la France, clament-ils. Mais dix mois après une mobilisation historique, les agriculteurs réclament aussi des actes du nouveau gouvernement pour leurs revenus. Reportage au nord de Paris dans le département de l'Oise
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À Nantes, entre 700 et 1000 Roumains vivent dans des conditions extrêmement précaires sur une ancienne déchetterie. C’est l’un des plus grands bidonvilles de France. Mais la métropole veut récupérer l’emplacement. Son plan d’évacuation, « une résorption » selon ses termes, prévoit d’accompagner les familles en leur proposant des logements. Un projet ambitieux de 80 millions d’euros qui vient de débuter et un immense défi humain.
De notre correspondant à Nantes,
C’est au pied de la cheminée bleue d’une usine de traitement de déchets qu’Adrian, 26 ans, a construit sa vie avec sa femme, ses deux enfants et ses parents. Sous leurs pieds, une ancienne décharge à ciel ouvert. Ils étaient parmi les premiers installés en 2018.
Philippe Barbo est le fondateur de plusieurs associations d’accompagnement de familles roms. Témoin de l’installation de 700 à 1 000 personnes, dont 40 % d’enfants, non scolarisés pour la plupart, dans ce bidonville, pour lui cette situation est le résultat d’une politique d’une vingtaine d’années : « Un, une politique de la patate chaude : des familles qui sont venues d’autres communes qui les ont expulsées. Deux, de la politique de l’immobilisme : pendant quinze ans, on n’a rien fait. Et puis, c’est la politique du pourrissement. »
Peu, comme Philippe Barbo, se sont intéressés au sort de ces Roms. Ils n'ont pas choisi la région nantaise par hasard pour s'installer : « La région nantaise offre des perspectives de travail non qualifié. Ils ont des origines rurales agricoles en Roumanie et donc [ils connaissent] le travail dans le maraîchage, dans la viticulture. Et ils ont des parcours d’activité annuelle quasiment complets. »
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« L’insertion par le logement »Mais cette main-d’œuvre va devoir partir. Nantes métropole veut récupérer l’emplacement pour son pôle d’écologie urbaine qui prévoit notamment d’agrandir la déchèterie attenante. Une résorption plutôt qu’une expulsion, selon ses termes, avec un diagnostic social des familles qui vient de débuter.
« Le but de Nantes métropole, qui défend l’insertion par le logement, c’est : ceux qui peuvent entrer directement en logement y entrent et ça, ça représente 10, 20, 30 % maximum », explique Philippe Barbo.
Les autres pourraient s’installer sur des terrains d’insertion temporaire, toujours dans l’optique d’intégrer des logements ordinaires pour favoriser leur inclusion. Mais cela a ses limites, selon Philippe Barbo. « Bien sûr qu’on défend le droit commun, mais on voit bien que ça ne répond pas forcément à la demande de ces familles-là qui ont des modes de vie très familiale. Et les logements sociaux aujourd’hui ne peuvent pas répondre à ce type d’habitudes de vie. Donc on pourrait aussi imaginer d’autres modes d’habitat, par exemple des terrains familiaux où là, ils pourraient vivre avec la grande famille. »
Autre frein : le loyer. Certains font des allers-retours en Roumanie et ne sont pas en capacité de payer lors de ces 2-3 mois d’absence. Mais ce n’est pas le cas d’Adrian. Lui rêve d’un logement pour sa famille et peut verser un loyer. « Si on travaille, c’est normal, si on veut être intégrés en France, il faut suivre les règles de la France, il faut payer tout, comme tout le monde », assure Adrian. Mais il devra être patient, l’opération doit durer 4 ans.
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« La Laverie », c’est le nom du plus gros point de deal des Alpes-Maritimes. Il se trouve dans la cité des Moulins, à Nice. Siam Spencer est journaliste. Dans un livre publié ce 14 novembre aux éditions Robert Laffont, elle raconte le quotidien dans ce quartier gangréné par le trafic de drogue et dans lequel elle a vécu pendant sept mois. Un quartier dans lequel l’entraide est importante, mais les bruits des guetteurs incessants. Siam Spencer revient sur les raisons de cette violence et de ces balles perdues qui se multiplient.
RFI : Vous publiez La Laverie chez Robert Laffont, qu’est-ce que c’est que La Laverie ?
Siam Spencer : La Laverie, c’est le plus gros point de deal des Alpes-Maritimes. Il est à Nice, au quartier des Moulins, où j’ai vécu pendant 7 mois et sur lequel j’ai enquêté après pendant 5 mois.
Et alors, le trafic de drogue, vu du quartier dans lequel vous habitez, ça ressemble à quoi ?
Alors ça ressemble à des petits jeunes, sur des chaises roulantes, des chaises en bois, postés comme ça à plusieurs endroits dans le quartier qui font le guet pour prévenir si la police passe ou non par rapport au point de deal qui est un peu en retrait. Il y a aussi beaucoup de son, notamment là au quartier du moulin, on crie : « Ça passe » quand la police passe. Donc il y a le fameux « Arah ! », mais à Nice, on dit « Ça passe » et c’est très sonore finalement comme quartier.
Cela commence très tôt le matin, et ça finit tard le soir.
Tout à fait. Les premiers deals peuvent commencer tôt, vers 8 h. Parfois même un petit peu plus tôt, en fonction des commandes que peuvent avoir les dealers. Mais disons que la boutique ouvre vraiment à 10 h. C’est là que vraiment, il y a plusieurs dealers qui sont postés et qui attendent le consommateur. Et en général jusqu’à 22 h, parfois minuit en fonction du jour de la semaine.
Ça s’organise de quelle façon ?
Alors dans la cité des Moulins, comme dans quasiment toutes les cités de France finalement, il y a donc ce chouf, celui qui est le plus visible : le vendeur qui est souvent accompagné d’un deuxième vendeur qui vérifie que tout se passe bien. Souvent, on en a encore un troisième qui fait à la fois parfois de la vente ou qui surveille que ça se passe bien et qui s’occupe de l’approvisionnement. C’est-à-dire qu’il va aller là où des petites quantités de drogue sont cachées, à proximité du lieu de deal. Et faire les allers-retours comme ça en rapportant un peu de marchandise. Ensuite, on a un approvisionneur qui lui va faire des plus grandes distances, qui peut aller dans un appartement nourrice par exemple ou une planque beaucoup plus loin, qui peut être parfois à 10 km du quartier, et rapporter ces petites quantités jusqu’à ce petit point de cache qui peut être dans une voiture à proximité. Ensuite, on a le gérant qui s’occupe du recrutement, de fermer la boutique, de voir si tout se passe bien. On a aussi parfois des hommes armés à proximité au cas où quelqu’un d’un clan adverse essaie de reprendre ce point de deal. Parfois, on a aussi des community managers qui s’occupent de la communication sur les réseaux sociaux, auprès des consommateurs. C’est vraiment comme une entreprise ; des PME un peu classiques, mais bon, pas si classiques que ça.
C’est un trafic qui génère une violence parfois inouïe. Comment est-ce que cette violence s’explique ?
Parce qu’il y a des enjeux financiers très forts. Le point de deal La Laverie, c’est entre 15 000 et 20 000 € de recettes par jour. C’est quand même énorme.
Vous disiez aussi qu’à une époque, le trafic était aux mains de gens plus âgés alors qu’actuellement, les jeunes ne font pas le même apprentissage.
Oui, c’est ça : il n’y a pas d’apprentissage. Ce sont des ados la plupart du temps. En plus de ça, ils sont consommateurs de cannabis et parfois aussi d’alcool. La consommation des deux fait qu’on se retrouve avec des jeunes camés ou des mineurs non accompagnés qui sont dans des états seconds et qui peuvent avoir aussi des switchs, des coups de folie et dans un climat de stress ambiant qui est assez fort parce qu’il y a justement des tensions entre clans rivaux et c’est là justement qu’on peut se retrouver avec des armes et avec un clan qui va débarquer, tirer sur tout le monde ou des coups de couteau. C’est là que ça devient vraiment dangereux pour les habitants et pour aussi pour les jeunes qui travaillent sur ces points-là.
On a entendu des histoires de balles perdues, dans de très nombreuses villes en France. Vous, vous racontez comment, au début, vous mettez votre matelas par terre pour échapper à une balle perdue.
C’est ça. J’habitais au rez-de-chaussée et la première fois que je me suis réveillée au Moulin, il y a eu des tirs quasiment en face de chez moi. Des tirs quasi sous ma fenêtre. Et je me suis dit que je n’avais pas envie d’être à hauteur de tir, on ne sait jamais s’il y a une balle qui traverse, ou qui passe par la fenêtre. Je me suis mise à dormir tous les soirs sur le sol. J’étais encore plus près des cafards, mais je me rapprochais du sol. Tout ça, ça s'intériorise beaucoup aussi. Ce sont des mécanismes en fait, on s’en rend même plus compte et c’est avec le recul que je me suis dit que ce n’était pas normal.
Le quotidien dans le quartier des Moulins, c’est de la violence, mais aussi beaucoup d’entraide, de vie associative et la détresse des gens qui sont un peu obligés d’y vivre, que vous racontez très bien.
Oui et qui sont beaucoup aidés par les associations et je parle beaucoup dans le livre d’Abdelhakim, qui est le président de l’association Partage ton talent, qui aide énormément les jeunes et qui est vraiment très active dans ce quartier-là. En fait, c’est le truc classique « si un jeune est occupé en train d’aller faire du ski ou juste aider une mamie à faire son jardin ou lui rapporter ses courses, c’est un jeune qui n’est pas dans la rue » et ça, ce sont des choses qui fonctionnent très bien, en tout cas dans ce quartier-là. À Nice, mais c’est le cas dans plein de villes, on est sur des loyers qui sont quand même assez excessifs. En plus de ça, il y a aussi un facteur de racisme qu’il ne faut pas négliger. Il y a quand même beaucoup d’habitants qui arrivent à trouver des appartements à loyer modéré avec les bailleurs sociaux, mais on leur met des bâtons dans les roues parce que quand on a un nom à consonance arabo-musulmane, on a clairement moins de chance d’obtenir le logement.
Les rapports avec la police sont-ils ceux que vous imaginiez ?
Non, c’est moins tendu que ce que je pensais. Je suis arrivée avec des a priori et je me suis dit que ce ne serait pas étonnant qu’il y ait une bavure ou des choses comme ça. Alors ça peut être tendu parce que les habitants, notamment les hommes, parlent beaucoup de contrôles trop fréquents et qui les mettent mal à l’aise ou les agacent. Mais c’est moins tendu dans le sens où il y a des moments de discussion entre les policiers, les jeunes d’une part, mais surtout les familles. Globalement, tout le monde cohabite. Quand j’y étais, quasiment tous les jours, il y avait un camion de CRS où la police qui se baladait. Et pourtant, les engueulades entre des habitants et des policiers étaient rares. Tout le monde sait que les policiers sont là, les dealers sont là, les habitants… C’est un petit monde qui cohabite.
Mais en même temps, les policiers sont très pessimistes sur l’évolution de la situation et du trafic de drogue qui arrive dans toutes les villes.
Oui complètement. On m’a plusieurs fois parlé d’une vague qu’on ne peut pas arrêter et que les choses empirent, qu’ils ont l’impression de ne rien pouvoir faire. Souvent, quand ils arrivent, c'est qu’il est déjà trop tard. Ils se sentent finalement assez impuissants par rapport à ce trafic-là. Ils font ce qu’ils peuvent et leur mission, c'est d’être là pour trois ou quatre heures tous les jours et de se dire que pendant ce court laps de temps, il y a moins de risques qu’il y ait une balle perdue, ou un jeune qui se fasse planter avec un poignard. Ces trois heures-là, c’est un moment de répit pour les habitants qui eux, pour le coup, n’ont rien demandé et au moins sont très en colère et le disent face découverte, ce qui n’est pas le cas dans toutes les villes.
Vous êtes journaliste, y compris pour RFI. Vous êtes l’une de nos correspondantes à Marseille. Vous n’avez jamais parlé des Moulins dans vos reportages. Pourquoi ?
Alors au début, je voulais. En arrivant, je me suis dit que ça pouvait être intéressant d’en parler avec justement cette double casquette d’habitante et de journaliste ou juste de journaliste. Mais après, j’ai eu vraiment un sentiment de malaise. Déjà ce sentiment que je ne pourrais jamais tout dire, tout ce qu’il y avait à dire et que je passerais toujours à côté d’une information. Parce qu’il y a la violence des armes, du trafic, etc. Mais la violence que moi je ressentais, c’était celle des cafards, de l’insalubrité et d’être un peu une citoyenne de seconde zone. Et j’avais l’impression qu’en choisissant un sujet, un angle, je n’allais pas pouvoir expliquer ce que c’était que cette violence-là. Il y avait aussi ce côté que j’étais en train de vivre cette situation et j’estime que c’est pas mal d’avoir un petit peu de recul pour pouvoir parler de ce qui se passe dans ces moments-là. Donc je n’ai pas réussi et j’ai fait le choix après d’arrêter de me poser la question « tiens, est-ce que je ne ferais pas un reportage sur tel sujet ou tel sujet ? » Et puis il y avait aussi peu de demandes, à part sur des gros faits divers, ou des polémiques aussi. Il y a eu pas mal de polémiques sur le quartier des Moulins. C’est quelque chose que j’ai refusé de faire parce que je me suis dit, est-ce que c’est vraiment nécessaire de donner cette image-là, de remettre une pièce dans la machine sachant que le quartier avait déjà cette image de ghetto et j’avais l’impression que ce n’était pas ma place de faire ça et que ça n’allait aider personne finalement.
À écouter « On ne peut pas se satisfaire de voir autant de jeunes mourir dans une guerre à la drogue »
Depuis le mois de janvier, près de 32 000 personnes ont traversé clandestinement la Manche, la mer qui sépare le nord de la France et l'Angleterre. C'est déjà plus que sur toute l'année 2023. Le mois d'octobre et sa météo clémente ont vu plus de 5 200 personnes rejoindre les côtes britanniques, un record mensuel depuis le début du phénomène en 2018. Avec son pendant macabre, une soixantaine de personnes sont décédées, un chiffre sans précédent.
Malgré les dangers et les conditions de vie dans les campements de fortune des côtes du nord de la France, les exilés sont toujours plus nombreux à vouloir prendre le risque de traverser la Manche. À une trentaine de kilomètres de Calais, installés à Wimereux, à la sortie de cette petite station balnéaire huppée du Pas-de-Calais, un groupe d'exilés prêts à prendre la mer a répondu à RFI.
Un reportage de notre envoyée spéciale à Wimereux à retrouver dans son intégralité dans Accents d'Europe.
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Le 7 novembre dernier, le Parlement a voté une loi dite « Airbnb », pour mieux encadrer les meublés de tourisme. Ces logements sont en partie responsables de la crise de l'immobilier, notamment dans les villes ou les régions touristiques. À Marseille, l'équipe municipale a décidé de prendre le taureau par les cornes pour limiter les meublés touristiques. Une brigade est chargée de supprimer toutes les boîtes à clé sur l’espace public.
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Le 15 avril 2019, une partie de la cathédrale de Notre-Dame était ravagée par un incendie. Les autorités avaient fait le pari de la restaurer en cinq ans. Un pari tenu puisqu’elle rouvrira ses portes le 7 décembre prochain. Pour cela, plusieurs corps de métiers spécialisés dans un artisanat millénaire, se sont surpassés pour redonner à Notre-Dame sa splendeur d’avant l’incendie. Ces travaux ont perturbé la vie de quartier, mais ont fait découvrir ou redécouvrir la cathédrale sous un nouveau jour.
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