Reportage France

Le mouvement « Bloquons tout », la France face à l’inconnue de la mobilisation


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Que va-t-il se passer le 10 septembre ? Le suspens grandit à mesure que la date approche. Depuis plus de deux mois, des appels à bloquer le pays circulent sur les réseaux sociaux. Ils sont particulièrement relayés depuis l'annonce, en juillet, de coupes budgétaires par François Bayrou, le Premier ministre, et la suppression de deux jours fériés. Des boucles Telegram réunissent des milliers de personnes, aux profils et attentes très divers. Mais avec un objectif commun : faire tomber le gouvernement Bayrou et la présidence Macron.

Ce mouvement qui se veut apolitique a néanmoins attiré l'attention des partis de gauche et reçu au moins le soutien de la France Insoumise. Les syndicats CGT et FO ont décidé de soutenir le mouvement, en déposant des préavis de grève.

Mouvement diffus et imprévisible

Mais il est encore très difficile de savoir quelle ampleur prendra la mobilisation, pour une raison évidente ; ce mouvement se veut citoyen et spontané, donc sans organiseurs ni hiérarchie. Tout est censé être décidé de façon horizontale, que ce soient les revendications ou les actions à mener. 

Nos confrères de la radio publique France Info ont pu consulter une note des renseignements généraux. Elle souligne l'absence de coordination structurée, et donc le caractère diffus et imprévisible de ce mouvement. Les renseignements généraux tablent sur une quarantaine d'actions, sous forme de manifestations, de rassemblements, d'actions de blocage, voire de sabotages. Une contestation qui devrait toucher tout le territoire et potentiellement réunir 100 000 personnes.

Des sympathisants jeunes et politisés

La Fondation Jean Jaurès, elle, s'est déjà penchée sur le profil des personnes séduites par ce mouvement de blocage. Le laboratoire de recherche et d'analyse politique a été particulièrement rapide à se pencher sur le sujet. Ses analystes ont questionné régulièrement, durant le mois d’août, les membres des boucles Telegram et Facebook.

Si les premiers appels au blocage ont été lancés par un collectif assez confidentiel, complotiste et souverainiste, le mot d'ordre a rapidement été récupéré par des sympathisants de la gauche radicale.

Il y a une dizaine de jours, 69 % d'entre eux déclaraient avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon, de la France Insoumise au premier tour de la présidentielle en 2022. Et une majorité s’était abstenue ou avait voté blanc au second tour qui a abouti à la victoire d'Emmanuel Macron.

C’est en consultant des canaux de gauche et d’ultra-gauche, sur les réseaux sociaux, que Lucie, une parisienne de 53 ans, a découvert l’appel au blocage il y a deux mois. Cette habituée des manifs a tout de suite été séduite. « Je me suis dit, enfin ! Enfin, on se réveille, enfin on réagit à une politique injuste, se réjouit-elle. Ça donne de l'espoir que le peuple se réveille et que la lutte des classes reprenne. »L’enseignante dénonce la politique du gouvernement, la domination de la bourgeoisie et un écueil qu’elle connait d’autant mieux qu’elle travaille dans un collège public, la « casse du service public ». « Le service public, c’est la richesse des plus démunis, explique-t-elle. Et on se rend compte que le pays ne fonctionne plus ».

Lucie n’a rejoint aucune boucle Telegram et n’en a pas besoin pour savoir que mercredi prochain elle fera grève et sortira surement dans la rue.

Comparaison au mouvement des gilets jaunes

La Fondation Jean Jaurès a comparé le mouvement « Bloquons tout » à celui des gilets jaunes qui, il y a sept ans, a réuni tous les samedis, sur des ronds-points de zones périurbaines et rurales, des Français en colère contre le gouvernement. Les sympathisants de « Bloquons tout » sont plus politisés, plus jeunes que les gilets jaunes, et leurs catégories socio-professionnelles sont plus diverses, quand la mobilisation des gilets jaunes reposait sur des problématiques principalement de précarité économique et rassemblait des novices en matière de manifestation. 

Mais l’objectif final reste le même, pour Arnaud, gilet jaune de la première heure à Sarrebourg, dans le Nord-est du pays. Ce quinquagénaire n’a jamais cessé de manifester contre le régime, depuis 2018. À l’essoufflement du mouvement qu’il avait rejoint à l’occasion d’un passage en voiture sur un rond-point de sa commune, Arnaud a créé sa propre association, pour pouvoir déposer en préfecture des demandes de rassemblements. Mais tous les quinze jours, ils ne sont plus qu’une vingtaine à se mobiliser. L’appel au blocage du 10 septembre a donc relancé son espoir de « finir le travail ». « Si on est suffisamment nombreux cette fois-ci, peut-être qu’enfin Macron pourra tomber, explique-t-il. Notre espoir, c'est que les jeunes générations ou d'autres personnes comprennent enfin que le gouvernement Macron-Bayrou est en train de nous écraser. »

Des revendications très à gauche

Mais l’évolution des revendications, depuis l’apparition du mot d’ordre sur les réseaux sociaux, a quelque peu douché son enthousiasme. « Ça a effectivement commencé avec des gens souverainistes, globalement de droite, précise-t-il. Mais à force, la priorité a été donnée à certaines causes particulières à l'extrême gauche. Elles ne sont pas toutes mauvaises d’un point de vue social. » Arnaud, qui se fait appeler « Gueux mécontent » sur les réseaux sociaux, regrette qu’il ne soit pas question d’immigration ou encore de sortie de l’Union européenne, sur les boucles Telegram et dans les Assemblées générales.

Mais il se mobilisera tout de même le 10 septembre, car ce qui lui importe, c'est d’obtenir la plus forte mobilisation.

À l’autre bout du spectre politique, Lucie, l’enseignante parisienne, approuve. « J'ai tendance à dire que oui, effectivement, plus on est nombreux et mieux ce sera, souligne-t-elle. À un moment, il faut renverser la table même si tout le monde ne la renverse pas pour les mêmes raisons. »

Méfiance envers les journalistes

Le mouvement « Bloquons tout » et celui des gilets jaunes présentent un autre point commun, qui ne facilite pas l’appréhension de la mobilisation de ce mercredi 10 septembre ; la méfiance envers les journalistes. Elle est extrêmement marquée sur les boucles Telegram que la rédaction de RFI à chercher à rejoindre pour obtenir des témoignages. Les portes se ferment aussitôt.

Les journalistes y sont considérés comme une des sources du problème. Ils sont accusés soit de promouvoir des idées d'extrême droite, soit d'être à la solde du gouvernement. Très rares sont les membres de ces boucles qui ont accepté d'échanger avec RFI, et lorsqu'ils l'ont fait, c'était en message privé, de façon anonyme et uniquement en leur nom.

À lire aussi«10 septembre»: des réseaux sociaux aux actions, regards croisés sur un mouvement en gestation

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