1. Introduction
Dans cet épisode, Michel Onfray propose une définition du libertin baroque, en synthétisant trois années de travail sur cette figure philosophique. Il retrace les influences historiques et philosophiques qui ont nourri cette pensée et explore comment les libertins ont ouvert la voie aux Lumières.
2. Les racines philosophiques du libertinage
L’héritage antique : matérialisme et scepticisme
Le libertinage baroque puise ses origines dans la philosophie antique, notamment chez les matérialistes abdéritains comme Démocrite et Leucippe, les cyniques, les sceptiques et les épicuriens. Ces courants, opposés à la pensée idéaliste et dualiste dominante, sont réactivés au XVIIe siècle pour proposer une alternative au christianisme et à l’absolutisme monarchique.
Le christianisme épicurien : un pont entre foi et raison
Certains penseurs de la Renaissance, tels que Lorenzo Valla, Érasme et Montaigne, démontrent qu’il est possible de concilier christianisme et épicurisme. Cette tentative de rénover la théologie prépare l’émergence des libertins baroques, qui cherchent à maintenir une distance critique entre foi et philosophie.
3. Définition et caractéristiques du libertin baroque
Un travail dialectique en direction des Lumières
Onfray insiste sur le fait que les libertins ne sont pas simplement des figures hédonistes ou des sceptiques irrévérencieux. Ils effectuent un travail dialectique qui préfigure les Lumières. Leur pensée oscille entre critique du dogmatisme religieux, réhabilitation du plaisir et usage méthodique du doute.
Un scepticisme méthodique et une raison prudente
Les libertins baroques adoptent une méthode sceptique héritée de Pyrrhon et de Sextus Empiricus. Toutefois, contrairement à un scepticisme radical qui suspend tout jugement, leur doute est pragmatique et leur permet d’évaluer la validité des croyances et des institutions.
Une morale immanente et matérialiste
Le libertin baroque rejette les dogmes religieux et propose une éthique fondée sur l’immanence. La vertu ne se mesure pas à une récompense divine dans l’au-delà, mais à son impact immédiat dans le monde. Il prône une morale qui se base sur la nature et l’expérience humaine, plutôt que sur des lois transcendantales.
4. Le libertin face au pouvoir et à la religion
Un positionnement entre liberté et prudence
Si les libertins contestent l’autorité religieuse et monarchique, ils doivent également composer avec la réalité politique de leur époque. Beaucoup pratiquent un double discours : publiquement, ils restent prudents, tandis que dans leurs cercles privés, ils développent des idées subversives.
Le fidéisme comme stratégie de contournement
Certains libertins, comme Pierre Charron ou François La Mothe Le Vayer, adoptent une posture fidéiste. Ils reconnaissent la foi tout en séparant clairement religion et philosophie, ce qui leur permet d’explorer des idées matérialistes sans subir les foudres de l’Inquisition.
5. L’évolution du libertinage et son impact sur les Lumières
Une pensée transhistorique
Onfray souligne que le libertinage ne se limite pas au XVIIe siècle. Il constitue un mouvement de pensée qui traverse l’histoire, influençant directement les philosophes des Lumières. Cette continuité se retrouve notamment dans le travail de Spinoza, qui synthétise et dépasse la pensée libertine.
Vers l’athéisme et le matérialisme radical
Alors que les libertins baroques restent majoritairement fidéistes ou panthéistes, leur héritage intellectuel permet l’émergence d’un matérialisme athée plus affirmé au XVIIIe siècle, avec des figures comme La Mettrie, Helvétius et D’Holbach. Leur critique de la religion et leur défense de la raison annoncent la radicalité des Lumières.
💡 Conclusion
Michel Onfray propose une synthèse du libertinage baroque en le replaçant dans une dynamique historique. Ce mouvement philosophique, à la croisée du scepticisme, de l’épicurisme et du matérialisme, joue un rôle fondamental dans la préparation des Lumières. Il représente un jalon essentiel dans l’histoire de la pensée critique et du combat pour l’émancipation intellectuelle.
📚 Philosophes mentionnés
* Démocrite (env. 460 av. J.-C. – env. 370 av. J.-C.) — Philosophe atomiste et matérialiste.
* Leucippe (5e siècle av. J.-C.) — Philosophe présocratique, cofondateur de l’atomisme.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) — Fondateur de l’épicurisme.
* Sextus Empiricus (env. 160 – env. 210) — Philosophe sceptique.
* Lorenzo Valla (1407 – 1457) — Humaniste italien, critique de l’Église.
* Érasme (1466 – 1536) — Humaniste et théologien chrétien.
* Michel de Montaigne (1533 – 1592) — Philosophe humaniste et sceptique.
* Pierre Charron (1541 – 1603) — Philosophe sceptique et précurseur de la laïcité.
* François La Mothe Le Vayer (1588 – 1672) — Philosophe sceptique et libertin érudit.
* René Descartes (1596 – 1650) — Philosophe rationaliste.
* Baruch Spinoza (1632 – 1677) — Philosophe rationaliste et panthéiste.
* Julien Offray de La Mettrie (1709 – 1751) — Philosophe matérialiste et médecin.
* Claude Adrien Helvétius (1715 – 1771) — Philosophe des Lumières, défenseur de l’utilitarisme.
* Paul-Henri Thiry d’Holbach (1723 – 1789) — Philosophe matérialiste et athée.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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