Diogène d’Oenanda et l’épicurisme gravé dans la pierre
Cet épisode se concentre sur Diogène d’Oenanda, un philosophe épicurien du IIe siècle apr. J.-C., qui a entrepris un projet unique : graver les enseignements d’Épicure sur un immense mur dans la ville d’Oenanda (actuelle Turquie). Michel Onfray explore l’importance de ce projet, les idées majeures transmises par Diogène et sa vision originale de l’épicurisme.
1. Un projet monumental : la philosophie sur un mur
* Diogène d’Oenanda fait construire un mur de 80 mètres de long, 4 mètres de haut et 1 mètre d’épaisseur pour y graver les enseignements épicuriens.
* Ce mur, situé dans l’agora d’Oenanda, avait pour but de diffuser la philosophie épicurienne au plus grand nombre, même à ceux qui ne savaient pas lire.
* Michel Onfray compare ce projet à une forme ancienne de publicité ou de médiatisation philosophique, une volonté de rendre la sagesse accessible à tous.
2. Les thématiques gravées : physique, éthique et politique
Le mur est divisé en sections traitant des grands axes de l’épicurisme :
* Physique : Les fondements matérialistes de l’univers sont exposés. Le monde est composé d’atomes et de vide. Diogène confirme l’idée du clinamen (la déviation aléatoire des atomes), garantissant la liberté et le hasard dans l’univers.
* Éthique : Fidèle à Épicure, Diogène enseigne la quête de l’ataraxie (absence de troubles) et l’aponie (absence de douleurs). Il rappelle la hiérarchie des désirs :
* Désirs naturels et nécessaires (boire, manger).
* Désirs naturels mais non nécessaires (plaisirs raffinés).
* Désirs non naturels et non nécessaires (pouvoir, richesse, gloire).
* Politique : Diogène introduit des idées politiques rares chez les épicuriens. Il propose une utopie pacifique, où les hommes vivraient sans armes, sans fortifications, dans la paix et la prospérité, guidés par les principes épicuriens de modération et de justice.
3. L’éloge de la vieillesse, du loisir et du sourire
* Diogène d’Oenanda se distingue par son éloge de la vieillesse : loin de la percevoir comme un déclin, il la valorise pour la sagesse et la tranquillité qu’elle apporte, marquant la fin des passions tumultueuses.
* Il célèbre également l’otium (le loisir), vu non comme un temps vide mais comme un espace privilégié pour la contemplation, la philosophie et la construction de soi. Cette notion s’oppose au negotium (les affaires), jugé aliénant.
* Diogène fait l’éloge du sourire, une originalité dans la philosophie antique. Le sourire, selon lui, est le reflet d’une âme apaisée et heureuse. Il recommande même de représenter les dieux en train de sourire, témoignant de leur béatitude et invitant les humains à les imiter.
4. L’utopie épicurienne de Diogène d’Oenanda
* Diogène est l’un des rares épicuriens à proposer une véritable utopie politique. Il imagine une société mondiale sans frontières, basée sur l’amitié, la paix et la justice.
* Cette utopie s’oppose à la République de Platon, qui repose sur des castes et la hiérarchie. Chez Diogène, la cité idéale est ouverte, sans distinctions sociales ni lois oppressives, où les hommes vivent en harmonie.
* Michel Onfray souligne que cette utopie anticipe des idées modernes comme le cosmopolitisme et l’idée d’une fraternité universelle.
5. Le déclin et la redécouverte du mur
* Le mur de Diogène d’Oenanda a été détruit au IIIe siècle apr. J.-C. pour réutiliser ses pierres dans les fortifications de la ville. Ses écrits tombèrent alors dans l’oubli.
* Ce n’est qu’au XIXe siècle que des archéologues redécouvrent des fragments du mur, permettant de reconstituer une partie des textes et de révéler l’ampleur du projet.
💡 Conclusion
Diogène d’Oenanda incarne l’ultime expression de l’épicurisme antique. En gravant la philosophie dans la pierre, il cherche à rendre l’enseignement d’Épicure intemporel et accessible à tous. Son projet monumental témoigne d’un profond engagement envers la transmission du savoir.
Son apport à l’épicurisme ne se limite pas à la simple répétition des idées du maître : il innove en introduisant une dimension politique utopique, en valorisant des aspects comme le sourire, la vieillesse et le loisir. Son utopie cosmopolitique, prônant la paix et la fraternité universelle, fait de lui un précurseur des idéaux modernes.
La redécouverte de son mur nous rappelle la fragilité de la transmission du savoir et l’importance de préserver les traces des philosophies dissidentes, souvent effacées par l’histoire dominante.
📚 Philosophes et concepts mentionnés
* Diogène d’Oenanda (IIe siècle apr. J.-C.) – Philosophe épicurien ayant gravé un immense mur pour diffuser la philosophie épicurienne.
* Épicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) – Fondateur de l’épicurisme, prônant l’ataraxie et l’hédonisme modéré.
* Lucrèce (env. 99 av. J.-C. – env. 55 av. J.-C.) – Poète et philosophe épicurien romain, auteur de De Rerum Natura.
* Démocrite (env. 460 av. J.-C. – env. 370 av. J.-C.) – Philosophe présocratique grec, pionnier de l’atomisme.
* Platon (env. 427 av. J.-C. – env. 347 av. J.-C.) – Philosophe grec, auteur de La République, proposant une cité idéale hiérarchisée.
* Michel Foucault (1926 – 1984) – Philosophe français, auteur de L’herméneutique du sujet, s’intéressant à la construction de soi.
* Marc Aurèle (121 – 180) – Empereur romain et philosophe stoïcien, auteur des Pensées pour moi-même.
* Sénèque (env. 4 av. J.-C. – 65 apr. J.-C.) – Philosophe stoïcien romain, défenseur de l’ataraxie et critique de l’excès des passions.
* Paul de Tarse (env. 5 – env. 67) – Figure majeure du christianisme primitif, responsable de la diffusion du message chrétien dans l’Empire romain.
* Tertullien (env. 155 – env. 240) – Père de l’Église chrétienne, auteur de nombreuses apologies et défenseur de l’austérité morale.
* Zénon de Citium (env. 334 av. J.-C. – env. 262 av. J.-C.) – Fondateur du stoïcisme, courant rival de l’épicurisme.
* Claude Lévi-Strauss (1908 – 2009) – Anthropologue français, auteur de La pensée sauvage.
* Marx (1818 – 1883) – Philosophe et économiste allemand, théoricien du matérialisme dialectique et du socialisme.
* Héraclite (env. 544 av. J.-C. – env. 484 av. J.-C.) – Philosophe présocratique grec, théoricien du changement perpétuel (panta rhei).
* Sextus Empiricus (env. 160 – env. 210) – Philosophe sceptique grec, auteur de traités sur le scepticisme et la logique.
* Héraclite d'Éphèse (env. 544 av. J.-C. – env. 484 av. J.-C.) – Philosophe présocratique grec, connu pour sa doctrine du changement perpétuel et l'unité des contraires.
* Pierre Hadot (1922 – 2010) – Philosophe et historien de la philosophie antique, célèbre pour ses travaux sur les exercices spirituels dans l'Antiquité.
* Plotin (env. 205 – env. 270) – Philosophe néoplatonicien, auteur des Ennéades, proposant une vision métaphysique et spirituelle du monde.
* Epicure (341 av. J.-C. – 270 av. J.-C.) – Philosophe grec fondateur de l'épicurisme, prônant l'ataraxie et la recherche du plaisir modéré.
* Clément d'Alexandrie (env. 150 – env. 215) – Père de l'Église chrétienne, auteur de travaux théologiques et philosophiques sur la foi et la raison.
* Saint Augustin (354 – 430) – Philosophe et théologien chrétien, auteur des Confessions et de La Cité de Dieu, influent dans la formation de la doctrine chrétienne.
* Thomas More (1478 – 1535) – Philosophe, humaniste et homme politique anglais, auteur de L'Utopie, qui décrit une société idéale.
* Campanella (1568 – 1639) – Philosophe et moine dominicain italien, auteur de La Cité du Soleil, une utopie politique et sociale.
* Karl Marx (1818 – 1883) – Philosophe, économiste et théoricien social allemand, auteur du Manifeste du Parti communiste et du Capital.
* Friedrich Engels (1820 – 1895) – Philosophe, historien et théoricien social allemand, collaborateur de Karl Marx et co-auteur du Manifeste du Parti communiste.
* Sigmund Freud (1856 – 1939) – Neurologue autrichien, fondateur de la psychanalyse, théoricien des pulsions et du subconscient.
* Henri Bergson (1859 – 1941) – Philosophe français, auteur de L'Évolution créatrice, prônant un vitalisme philosophique centré sur l'élan vital.
* Jean-Paul Sartre (1905 – 1980) – Philosophe français existentialiste, auteur de L'Être et le Néant, défenseur de la liberté individuelle et de l'engagement.
* Gilles Deleuze (1925 – 1995) – Philosophe français, auteur de Différence et répétition et co-auteur avec Félix Guattari de L'Anti-Œdipe.
* Félix Guattari (1930 – 1992) – Philosophe et psychanalyste français, collaborateur de Gilles Deleuze, co-auteur de L'Anti-Œdipe.
* Démocrite (env. 460 av. J.-C. – env. 370 av. J.-C.) – Philosophe pré-socratique, pionnier de l’atomisme matérialiste.
Crédits : Michel Onfray et la Contre-histoire de la philosophie
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