Bienvenue à bord de Comment c'est arrivé là, la capitaine Aliénor vous embarque sur l'Atlantique à la poursuite des pirates, et autres corsaires.
Mais comment les différencie-t'on d'ailleurs ? Parce que jusqu'à la fin du Moyen-Age, pirate ou corsaire désignent indifféremment un ruffian des mers qui pille les navires flottant sur les vagues d'à-côté.
Sur la fin du Moyen-Age, donc, certains armateurs civils sollicitent de leur suzerain le "droit de représailles" c'est à dire l'autorisation de s'emparer par la force d'une quantité de marchandises identique à celles perdues après avoir été pillées. C'est ainsi que naît ce qu'on va appeler la guerre de course. Le terme corsaire désignera indifféremment l'armateur (le propriétaire du bateau) que le capitaine, ses marins ou même le bateau. On emploie le même principe d'arraisonner et de piquer la cargaison du collègue, mais avec la permission du chef pour se donner bonne conscience.
Autour du Grand Siècle, la mise en place d'un document appelé lettre de marque ou lettre de commission ou lettre de course,- pas la liste, la lettre- signé par le roi autorise le porteur à attaquer les navires battant pavillon ennemi, principalement les bâtiments de commerce. Soyons fair-play, on ne marche pas sur les pieds des copains et on laisse les navires militaires s'envoyer des boulets entre eux. En revanche, la détention du mot doux avec autographe et sceau royal protège l'équipage en cas de prise du navire. Car si ses membres sont des civils, et de ce fait non rattachés à un état-major, les corsaires sont soumis aux lois de la guerre et en cas de capture par l'ennemi, reçoivent le statut de prisonniers de guerre, ce qui est plus confortable que d'être traités comme de vulgaires hors-la-loi. Le lettre perd cependant tout effet à la fin du conflit entre les pays concernés.
Surcouf échangea quelques piques avec un capitaine anglais. Le britannique déclara "Vous les Français, vous vous battez pour l'argent, nous les Anglais, nous nous battons pour l'honneur". Ce à quoi le célèbre corsaire de Napoléon répondit "Vous avez raison, chacun se bat pour ce qu'il n'a pas !"
Dotés d'un code de conduite, les corsaires sont tenus à certaines règles comme le respect de la vie et des biens personnels. Selon les archives françaises, entre 1692 et 1763 (soit à peu près 70 ans), on dénombre 23201 marins corsaires embarqués et on ne déplore "que "133 morts au combat.
La prise d'un corsaire ne concerne que le navire et sa cargaison, fait l'objet d'une enquête pour en déterminer la légitimité, et s'il s'avère que ce n'est pas le cas : les biens sont restitués. Entre 1789 et 1815, (soit 26 ans) le tribunal des prises mène 1651 enquêtes qui font état de 75 combats et 18 abordages.
Un contrat de "chasse-partie" était établit par l'ensemble de l'équipage avant le départ, sur lequel était inscrites les décisions collectives concernant la destination, le but de l'expédition, et la répartition des prises.
Les corsaires préféraient utiliser la surprise plutôt que la force, comme s'approcher en arborant un pavillon ami ou neutre, mais avec obligation de hisser le véritable pavillon à partir d'une certaine distance, sinon l'enquête jugeait qu'il y avait eu traîtrise et il fallait rendre le butin... Une partie de l'équipage du navire conquis était désigné comme "otage" et devait témoigner lors de l'enquête. Ce n'est d'ailleurs qu'à l'issue de celle-ci que la vente des cargaisons, scellées par l'amirauté à leur arrivée au port, était autorisée, à l'exception du tissu, brûlé pour préserver le travail des manufactures françaises. Les marins, tous équipages confondus étaient consignés à bord jusqu'au verdict, afin d'éviter qu'une petite partie de la cargaison ne se vende avant la fin de l'enquête...
Concernant la vie et aux biens des passagers, les archives de la marine font état de mise sous scellés lors de la prise, c'est à dire en mer, ou de prisonniers les utilisant pour tenter de monnayer leur rançon. Quant aux navires, ils étaient le plus souvent investis par un équipage de prise dont la mission était soit dans le cas de plus petits bateaux (un ou deux mâts) utilisés pour continuer la course avec deux bâtiments coordonnés, soit de le ramener au port le plus proche, ce qui arrivait le plus souvent car les navires marchands, de fort tonnage et lourdement chargés, donc peu rapides, ne sont pas stratégiques pour la guerre de course. Une fois arrivés au port, le capitaine se mettait en relation avec l'armateur du navire arraisonné pour proposer une rançon ou l'échange de prisonniers.
Il arrivait même que le capitaine corsaire, n'ayant pas assez d'hommes se contente de faire payer la rançon au capitaine ennemi et le libère contre promesse de rendre des prisonniers, ce qui fût appelé "la guerre en dentelles". Déjà, à l'époque, certains métiers peinaient à recruter, faute de personnel disponible et motivé.
Pour exemple, Garneray, corsaire sous Napoléon, qui cumulait les talents de peintre, dessinateur, graveur et auteur, dans ses mémoires, évoque un capitaine britannique qui, alors qu'il monte sur le pont du navire corsaire français pour signer sa reddition sans avoir livré bataille, et constate que l'équipage corsaire français est peu nombreux, déclare avec condescendance que s'il avait su, il se serait battu, et les Français ne l'auraient pas pris. Agacé, le capitaine français aurait répondu "Alors, remontez sur votre navire, nous allons combattre !". Notre corsaire -auteur rapporte que le Britannique perdit à la fois sa superbe et la couleur de son teint, et n'insista pas.
Le butin se partageait alors entre l'Etat (le roi, la république ou l'empereur) qui prenait 10 à 20% pour la lettre de marque, -un genre de TVA avant l'heure, enfin ça fait quand même cher l'autographe-; les frais engagés (nourriture, poudre, munition, réparation...); les veuves et orphelins (deux fois la part du défunt), les blessés (leur part, plus une indemnité définie dans le contrat de chasse-partie) puis l'équipage selon son rang, du capitaine qui touche 25 parts, au mousse qui n'en reçoit qu'une demi. Au 17ieme siècle, la répartition se fait en 2/3 pour l'armateur, 1/3 pour l'équipage.
La guerre de course fût abolie en 1856 par le traité de Paris marquant la fin de la guerre de Crimée, signé par 52 États, à l'exception de l'Espagne et des Etats-Unis dont je vous reparlerai en abordant la flibuste, qui est un monde un peu à part. Le dernier corsaire Français fût Etienne Pellot.
Je vous souhaite une belle journée, à l’écoute du son unique.