Heureusement que l'on peut compter sur cette chronique pour détricoter le bazar et révéler à la face du monde que oui, parfaitement, même les hommes peuvent allaiter…
Marie-Eve: Pour cette émission placée sous le signe du sein, nous avons sollicité Olivier et lui avons demandé une chronique. Oui, Olivier, notre chroniqueur Hibernatus, tout droit décryogénisé et débarquant de ses seventies natales toutes pleines d’affreux machos. Du coup, je me demande si on a bien fait et si on ne va pas entendre des horreurs…
Marie-Eve, Simona, détrompez-vous, je goûte particulièrement l’honneur d’être parmi vous aujourd’hui, tout mâle non allaitant que je suis, et doté pourtant d’un torse et de pectoraux avantageux qui pourraient faire l’affaire mais que j’utilise seulement, tout mâle désirant que je suis, comme appeau à nanas. D’ailleurs, c’est pour ça que je me suis habillé large aujourd’hui, car je ne voulais pas troubler votre concentration mesdames. On vous connaît hein: un T-shirt près du corps ou une chemise largement ouverte sur des pecs de compète, et vous voilà l’œil qui frise, à mater sans vergogne, que c’en est limite gênant. Non mais #MeToo quoi, non mais BalanceTaLouve!
M.-E.: Ouais c’est bien ce que je craignais. Avec toi, pour continuer dans le genre bestiaire, on ne sait jamais si c’est du lard ou du cochon.
Peut-être un peu des deux, qui sait? Bon, il faut dire que oui, en effet, je viens d’un temps où les mentalités étaient moins affûtées sur les questions de genre, où les identités semblaient plus figées, encore que… On peut aussi arrêter de déconner deux minutes et se souvenir par exemple de la coupe mulet des années 80, pas vraiment le modèle top moumoute du virilisme patriarcal. Allez avoir l’air d’un mâle alpha, quand votre coiffure évoque un hérisson à qui on aurait greffé une serpillère rincée à l’eau sale en guise de queue!
M.-E.: Les seins Olivier, les seins, aujourd’hui on parle de ça, pas des cheveux ou des poils. Les seins, et en particulier les seins des hommes.
Mais quelle bonne idée! Non là je suis sérieux: même si, à la découverte du thème du podcast de Simona, je n’ai plus su pendant un moment à quel sein me vouer (déso, je devais la faire celle-là), je dois dire que ce premier épisode est très intéressant et soulève pas mal de questions. Oui, parler des roberts de Robert, de Marcus ou de Jean-Jacques, ça ouvre des pistes de réflexion inattendues.
OK, perso, ayant abondamment torché, langé, bercé, nourri mes gosses, ayant tenu certaines nuits mes gremlins contre mon torse nu et les ayant vus prêts à téter tout ce qui passait, y compris un boulon ou un oursin, je confesse avoir entendu dans cet épisode consacré aux seins des hommes peu de scoops. Des trucs bizarres qui vous poussent sous les aréoles à l’adolescence? La lecture d’un article apprenant que même les hommes peuvent se manger un cancer du sein? La découverte que la stimulation des tétons provoque des décharges d’ocytocine ou, pour le dire en langage moins médical, de foutues sensations très agréables? Check, check, check et re-check! La vie et l’expérience sont des préceptrices formidables.
Là où je suis fasciné en revanche, c’est que le podcast en question est parcouru de contradictions stimulantes. Donc je demande: veut-on vraiment contrecarrer les effets du dérèglement climatique en jouant les apprentis sorciers, en balançant des tonnes de particules diverses dans l’atmosphère par exemple, histoire de diminuer le rayonnement solaire sur notre planète?
M.-E.: Hein, mais quel rapport Olivier?
Le rapport, il est ici: militer pour l’ingénierie climatique comme pour l’allaitement masculin, c’est verser dans une sorte de transhumanisme qui ne dit pas son nom. On a niqué notre biotope? Pas grave, un surcroît de technologie nous tirera d’affaire. L’allaitement et toutes les charges mentales et physiques qui vont avec incombent à la femme? Pas grave: farcissons les hommes d’hormones et le tour sera joué.
Dans le cas qui nous occupe, ce que l'on ne voit pas assez, c’est qu’il se joue là une sorte de fantasme de l’androgynie qui remonte à Platon, au moins, mais un Platon à la sauce postlibérale. Pourquoi s’acharner à vouloir gommer les magnifiques différences entre les sexes, si ce n’est pour aspirer à des corps interchangeables, produire de braves soldats tous également disponibles et mobilisables au service de la machinerie économique? Soit au service justement de la machinerie qui nous rapproche, jour après jour, de notre extinction en tant qu’espèce?
Et puis au fond, vous savez, c’est pas bien compliqué l’allaitement au masculin. Vous prenez Robert, Marcus ou Jean-Jacques par la main, vous lui montrez ces inventions stupéfiantes que sont le robinet, la casserole ou la bouilloire, vous lui expliquez les concepts du lait maternisé et de la dosette (des concepts accessibles aux hommes, je vous assure), vous lui collez un biberon dans les pattes et roulez jeunesse! Vous avez un mec capable de nourrir son petit. Et ce sans gober la moindre pilule. Les pharmas et le Grand Capital vont tirer la gueule mais après tout, eux, ils n'ont pas besoin d’être nourris.
Émission enregistrée au Service de la culture de Meyrin le 8 septembre 2023 et diffusée sur Radio Vostok le 8 décembre 2023
Publiée le 11 décembre 2023