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Edi Rama : "L’UE doit se réinventer face à Trump et aux pouvoirs émergents"


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Cette semaine, nous recevons Edi Rama, le Premier ministre albanais. Adhésion à l’UE, lutte contre la corruption en Albanie et contre l’influence russe dans les Balkans, il liste les défis que son gouvernement doit relever.

Le 11 mai dernier, le socialiste Edi Rama a remporté les élections législatives en Albanie. Cet ancien pays communiste de 2,4 millions d’habitants a vu son Premier ministre réélu pour un quatrième mandat, après dix ans au pouvoir.

"Les Albanais aiment l'Europe, ils veulent l'Europe"

L’un de ses principaux thèmes de campagne a été l’adhésion de son pays à l’Union européenne [UE] d’ici 2030. "Les Albanais aiment l'Europe, ils veulent l'Europe. L'histoire nous a montré qu’il n’y a rien de mieux que l'Union européenne", explique le Premier ministre. Selon lui, elle représente "un espace de paix et de sécurité". "Les nouvelles générations en Europe ont un peu perdu ce sens et ce lien avec l'histoire. Pour nous, cela est encore très fort et cela nous donne de la clairvoyance sur l'importance de l'Union européenne", poursuit-il. 

Edi Rama et son parti ont décroché 83 sièges de députés sur 140, s'assurant une large majorité au Parlement. L’élection était scrutée de près par l’UE, afin de s’assurer du bon fonctionnement des institutions du pays. La Commission européenne note que ces élections ont été, comme souvent en Albanie, hautement polarisées, avec un langage de campagne très violent entre les deux grands partis historiques.

"Il y a des interprétations différentes. Je trouve que c'est plus violent en France par exemple, où il y a eu pendant ces dernières années une sorte de fracture dans la société, dans la politique. La politique au Royaume-Uni est très violente. Il y a des choses qui se disent au sein de la House of Commons [chambre basse du Parlement] que nous n'aurions pas imaginé pouvoir être dites. Ce n'est pas une nouveauté", se défend le Premier ministre albanais.

En ce qui concerne la politique intérieure, l’insécurité économique touche une partie de la population albanaise malgré une hausse générale du niveau de vie. "Oui, nous avons des problèmes, sans doute, mais nous avons toujours plus d’opportunités", estime le Premier ministre. Avec plus de 10 millions de touristes par an, ce secteur est en plein essor dans le pays : "Pour un pays de 2,4 millions d'habitants, c'est vraiment beaucoup. Notre aéroport a reçu 11 millions de passagers. Il bat les chiffres de Belgrade depuis trois ans, qui auparavant a toujours été l'aéroport le plus grand de la région."

"L'Albanie est alignée avec l'UE dans sa politique étrangère"

L’Albanie a récemment accueilli le sixième sommet de la Communauté politique européenne, qui a réuni les Vingt-Sept mais également plus de vingt chefs d'États européens. Cette instance informelle de coopération intergouvernementale, lancée à l'initiative d'Emmanuel Macron en 2022, a pour objectif de favoriser le dialogue et la coopération en termes de sécurité, de stabilité ou de prospérité du continent européen.

"C'est un format qui est en train de maturer. Ce n'est pas encore un format qui a réussi à transformer tout ce grand potentiel en quelque chose de concret, mais c'est un format qui est en train de maturer et qui est très utile," estime Edi Rama. "C’est un bon format pour échanger des idées et pour réussir à se regarder en face et parler d'un chemin commun. C’était un privilège d'organiser ce sommet à Tirana. C’est quelque chose qui était inimaginable il y a juste quelques années."

En termes de position géostratégique, l’Albanie s’aligne sur Bruxelles, notamment en ce qui concerne le soutien ferme à l’Ukraine et la dénonciation de la Russie. "L'Albanie est toujours alignée avec l'Union européenne dans sa politique étrangère et dans notre processus de négociation pour finalement adhérer à l'UE", confirme le Premier ministre. "Notre position a toujours été claire et nette, mais je pense que dans le même temps, l'UE doit faire de son mieux pour réussir à se réinventer dans le nouveau contexte créé spécialement par l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche et en général face aux nouveaux pouvoirs émergents dans la politique internationale."

"En Albanie, il n’y a pas d'influence russe"

Vladimir Poutine cherche à étendre son influence dans la région des Balkans. Le président serbe Aleksandar Vucic, par exemple, a été le seul dirigeant parmi les candidats à l'adhésion à l'UE à avoir participé aux commémorations le 9 mai à Moscou,  à l'invitation du président russe. 

L’Albanie, quant à elle, est plus proche de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. Des puissances russes et turques qui semblent mener une lutte d’influence dans les Balkans. Une idée que contraste le Premier ministre albanais : "C'est un peu les stéréotypes faciles des Occidentaux. Non, ce n’est pas comme ça. […] La Serbie est entre l'Europe et la Russie et l'influence du président russe est importante. En Albanie ou au Monténégro, ce n’est pas la même chose. En Albanie, il n’y a pas d'influence russe. […] L’endroit où la Russie peut créer de la rupture c’est en Serbie et en Republika Srpska [république serbe de Bosnie] en Bosnie-Herzégovine." Quant à la relation de son pays avec la Turquie, il la qualifie de "relation traditionnelle et fraternelle depuis très longtemps" : "C'est une relation qui n’est aucunement en compétition avec notre alliance avec l'Union européenne", précise-t-il. 

"C'est la raison pour laquelle nous avons rejoint le chemin de l'UE"

Dans un rapport publié le 30 octobre dernier, la Commission européenne note les progrès et les priorités des pays candidats à l’entrée dans l’UE. Au sujet de l’Albanie, elle s’inquiète de voir une corruption encore trop présente dans ses institutions, bien qu’elle reconnaisse des progrès.

Les trois premiers mandats d’Edi Rama ont été marqués par des scandales liés à la corruption. "Je n'ai rien à répondre", répond l'intéressé. "C'est l'état de fait. C'est exactement la raison pour laquelle nous avons rejoint le chemin de l'Union européenne. C'est le seul chemin pour transformer un pays comme le nôtre – ou comme un pays balkanique – en un État de droit. L’UE est la plus grande source de l'humanité en termes de connaissance sur la construction d’un État de droit", détaille-t-il. "Nous avons des sources de connaissances sur comment construire un État de droit, comment construire des institutions. Le chemin à suivre, c'est exactement celui-ci."

Il précise sa politique au sujet de la lutte contre la corruption : "Nous sommes entrés dans un combat sans précédent et sans retour pour changer la nature de l'État et la nature des institutions. C’est pour cela que nous avançons à une vitesse incroyable dans les négociations [avec l’UE]." Des négociations qu’il espère terminer en 2027 afin de "donner aux États membres le temps de ratifier la décision et faire entrer l’Albanie dans l’UE en 2030".

"Ce ne sont pas nos centres, ce n’est pas notre projet"

L’Albanie a fait les gros titres des journaux ces derniers mois à la suite d’un accord bilatéral inédit signé avec l’Italie. Ce dernier prévoyait initialement l’installation en Albanie de deux centres de rétention de migrants secourus en Méditerranée, à des fins de procédures de demande d’asile ou de rapatriement gérées par Rome. Après la construction de ces centres, la justice italienne a invalidé le transfert de migrants vers l’Albanie.

Alors que le bras de fer continue entre la Première ministre Giorgia Meloni et la justice, ces revirements représentent un revers pour le gouvernement italien. "Ce ne sont pas nos centres, ce n’est pas notre projet. Ce n'est pas à moi de répondre," se défend Edi Rama. "Nous avons seulement donné à l'Italie, qui est un pays très spécial pour nous, […] la juridiction sur un terrain qui est un terrain italien et tout ce qui est lié avec la construction et la gestion de ces centres, c'est la responsabilité de l'Italie. L'Albanie n'entre en rien dans tout cela," insiste-t-il.

Alors que le Royaume-Uni envisage à son tour de mettre en place des "centres de retour" dans des pays tiers pour les demandeurs d’asile déboutés, Edi Rama a précisé que l’Albanie n’avait pas vocation à accueillir ce projet britannique : "J’ai toujours dit que si nous faisions quelque chose dans cette direction, cela serait seulement avec l'Italie, pour des raisons qui sont liées avec la nature de nos rapports, qui est complètement particulière. Ce n’est pas une surprise si j'ai dit non à Keir Starmer [le Premier ministre britannique]. Ce sera la même chose pour tout autre pays qui nous demanderait de faire la même chose."

Émission préparée par Isabelle Romero, Perrine Desplats et Oihana Almandoz

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