Semaine très riche en actualité pour l’Union européenne et ses États membres. La France s'est dotée d'un Premier ministre bon connaisseur des affaires européennes en la personne de l’ancien commissaire et négociateur du Brexit Michel Barnier, tandis que la Commission européenne poursuit sa constitution, que les prévisions économiques sont alarmistes et que la guerre gronde toujours à notre porte, en Ukraine. Pour en parler, nous recevons Elio Di Rupo, l’ancien Premier ministre belge qui a été nouvellement élu député européen dans le groupe des Socialistes et Démocrates.
La France vient de sortir de trois mois de crise gouvernementale avec la nomination du Premier ministre Michel Barnier, qu’Elio Di Rupo a connu à Bruxelles lorsque le Français était commissaire européen en charge de la politique de cohésion. Le socialiste salue ses capacités de négociation, "notamment avec le Brexit, et négocier avec les Britanniques n’est pas facile", mais il reste selon lui "un homme ancré à droite avec un profil très affirmé. Je ne peux pas oublier qu’il a voté conte la dépénalisation de l’homosexualité et qu’il a voulu très récemment que la France sorte de la Cour européenne des Droits de l’Homme". L’ancien patron des socialistes belges, qui a lui-même été nommé Premier ministre de son pays en 2011 après une crise politique de 541 jours, souligne "l’intelligence de la gauche française de s’unir, de faire bloc" lors des élections législatives où elle est arrivée en tête le 7 juillet dernier. Il s’étonne donc du choix du président Emmanuel Macron de ne pas avoir nommé "une personnalité modérée dans ce groupement du Nouveau Front populaire pour essayer de dépatouiller un peu la situation et voir s'il ne pouvait pas trouver une majorité".
La France est sous surveillance de Bruxelles en raison d’un déficit qui pourrait atteindre les 5,6 % en 2024, bien loin des 3 % prévu par les accords. Mais la Belgique n’est pas loin derrière, avec un déficit de 4,4 % de son PIB, et connaît également une crise politique car aucun gouvernement n’a été formé depuis les élections législatives. Elio Di Rupo le concède : "le 9 juin, la droite a gagné les élections. Du côté francophone, c'est plus net. Du côté de la Flandre, les socialistes flamands de Vooruit ont fait un excellent résultat. Et tous ces vainqueurs sont en train de tenter de former un gouvernement. Laissons-les travailler." Quant au déficit de la Belgique, pour lui, la question importante est de savoir comment le résorber : "pour le socialiste que je suis, on ne peut pas toucher aux soins de santé, on doit protéger nos concitoyens. (...) Où va-t-on chercher les moyens financiers ?” Il ne se dit pas particulièrement attaché à la taxation à tout prix, mais "il y a des entreprises, des personnes, qui ont des gains astronomiques et par rapport à ces gains astronomiques, ne contribuent pas assez à la société. (...) Et donc il est normal qu'on demande à celles et ceux qui ont des épaules plus larges de contribuer davantage que celles et ceux qui ont des épaules plus étroites."
D’élection en élection, on assiste à une montée de l’extrême droite populiste en Europe, fortement axée sur un discours anti-migrants. Selon l’eurodéputé, "le Parlement européen et les institutions européennes, doivent regarder la situation à l'aune de la nature humaine : les citoyens ont besoin d'être rassurés, sécurisés, d'avoir des perspectives pour eux-mêmes et pour leurs enfants, un pouvoir d'achat qui soit suffisant pour vivre dignement. Il fustige par ailleurs les fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux et ont selon lui "plus d’impact que les informations précises, pédagogiques, positives". Mais il l’affirme : "en tout cas, moi, j'ai la volonté de travailler avec mon groupe social démocrate pour contribuer à combattre sans relâche l'extrême droite".
L’Allemagne a annoncé la mise en place de l’extension des contrôles migratoires à l’ensemble de ses frontières dès le 16 septembre et pour une durée de six mois, mesure qu’elle juge nécessaire pour la "protection de la sécurité intérieure contre les menaces actuelles du terrorisme islamiste et de la criminalité transfrontalière", deux semaines après l'attentat de Solingen revendiqué par le groupe État islamique. "Je pense que l’ont doit être sans pitié avec ces criminels, ces fondamentalistes religieux, ces terroristes", nous dit Elio Di Rupo. Et c’est dans ce contexte d’insécurité qu’il analyse cette décision de Berlin : "il y a eu des drames, avec des morts, et une réaction du gouvernement”, même si "bien entendu, dans l'Europe que nous voulons construire, fermer les frontières est un acte qui n'est pas dans l'esprit de l'Union européenne". Quant à la question plus large de l’immigration, Elio Di Rupo "demande depuis le début des règles claires pour savoir si oui ou non on accepte des migrants. Il y a bien sûr les réfugiés, que nous sommes obligés d’accueillir par des conventions internationales que nous avons signées. Et il y a tous les autres migrants, dans quelles conditions on peut les accepter, pour quoi faire ? Et ça n'est pas encore clair. Bien entendu, il ne faut jamais oublier que derrière cette question, il y a des drames humains terribles".
L’Allemande Ursula von der Leyen, qui a été réélue à la tête de la Commission européenne en juillet, doit présenter son collège de commissaires. Une Commission très à droite "avec même des commissaires d’extrême droite" et Elio Di Rupo s’insurge : "ce qui est assez insupportable, c'est que le groupe socialiste est le deuxième groupe le plus important du Parlement européen et, personnellement, je ne me retrouve pas dans la Commission européenne à due proportion de ce que nous représentons". Les commissaires seront auditionnés par le Parlement européen et s’ensuivra un vote pour confirmer ou non la mise en place de cette nouvelle Commission. "Le fait que nous n'ayons pas un minimum d'équilibre par rapport aux sociaux démocrates est quelque chose qui pourrait nous conduire à voter contre", met-il en garde.
Alors que la Hongrie du très conservateur Viktor Orban tient la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne depuis le 1er juillet, Elio Di Rupo rappelle l'importance de "continuer à se battre pour défendre les minorités, la démocratie, les libertés. (...) On doit continuer à ne pas considérer que notre système démocratique de liberté et de défense des minorités est acquis pour toujours et à se battre, à nourrir et à chérir cette démocratie".
Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, pointe du doigt dans un récent rapport que Washington et Pékin ne respectent plus les règles du commerce international, et que sans investissements publics massifs, l'Union européenne est promise à une "lente agonie". Elio Di Rupo "partage entièrement le contenu de ce rapport" : "nous avons un retard terrible par rapport aux États-Unis et à la Chine", c’est pourquoi "il faut que l’Union européenne ait ses propres ressources financières" pour construire une Europe de la défense qu’il appelle de ses vœux. Car pour Elio Di Rupo, l’Union européenne n’est pas à la hauteur en ce qui concerne la guerre en Ukraine : "il est fondamental d'essayer d'aller le plus rapidement possible vers un cessez-le-feu et une négociation. Mais on ne peut pas laisser Poutine gagner parce que s’il gagne, nous sommes nous-mêmes, Européens, en danger. Nous avons besoin d'une Europe de la défense, non pas pour aller nous battre ailleurs, mais pour être capable de nous défendre nous-mêmes au sein de l'OTAN", conclut-il.
Émission préparée par Perrine Desplats, Isabelle Romero et Luke Brown