Cette semaine, nous recevons Salomé Zourabichvili, la 5e présidente de la Géorgie. Elle se présente comme la présidente légitime du pays malgré l’investiture d’un nouveau président, Mikheïl Kavelachvili, le 14 décembre. Elle revient sur les élections législatives qu’elle estime truquées, le recul de l’intégration à l’Union européenne de son pays et attend beaucoup de l’administration Trump en termes de sanctions.
Depuis que le parti au pouvoir, le Rêve géorgien, revendique la victoire aux législatives du 26 octobre, Salomé Zourabichvili et l'opposition pro-occidentale contestent les résultats, réclamant un nouveau scrutin.
"Ce n'est pas moi qui ne reconnais pas l'élection, c'est la population qui est dans la rue, qui dit : 'Rendez-moi ma voix et rendez-moi mon futur européen'. Ces élections ont été volées. Il y a eu une manipulation très générale, globale, dans laquelle l'ingérence russe est très claire” explique-t-elle.
Les résultats publiés donnent 53,9 % au Rêve Géorgien, contre 37,8 % pour une alliance des partis d’opposition. Un score entaché d’irrégularités pour l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), les Européens et la 5e Présidente : "Il y a eu une fraude massive très sophistiquée. On a eu des trolls russes, mais surtout la manipulation du vote électronique qui demandait une pré-planification. Il y a eu des propagandistes russes et des spécialistes des élections qu'on a également vus dans d'autres pays d'Europe centrale, et qui étaient présents depuis plusieurs mois en Géorgie" estime-t-elle.
Suspension de la candidature à l’Union européenne
Un mois après la désignation du nouveau président, Mikheïl Kavelachvili, un ancien joueur de football connu pour ses diatribes anti-occidentales, le pays de 3,7 millions d’habitants est en ébullition, suite au tournant pro-russe opéré : "tout ce qui déclenche la vraie colère de la population géorgienne, c'est la décision de tourner le dos à l'Europe, d'élire un président avec une élection à parti unique parce qu'il n'y a pas d'autre parti présent au Parlement”, ajoute Salomé Zourabichvili.
La Géorgie a obtenu le statut de candidat à l’Union européenne un an avant les élections législatives. "Depuis 30 ans, la population géorgienne se prononce à 80 % pour cette voie européenne. Et au lieu de cela, on stoppe tout, ce qui a été très apprécié par notre voisin russe. En revanche, la population géorgienne a dit 'pas question !'. Elle est descendue dans la rue et elle n'en remonte plus", se félicite-t-elle.
L’UE représente 15 % des échanges commerciaux du pays, et distribue 85 millions d'euros par an pour soutenir les services gouvernementaux.
La présidence polonaise du Conseil de l'Union européenne au premier semestre 2025 est une "très bonne nouvelle" : "La Pologne est l'un des pays qui soutient la Géorgie et son parcours européen depuis toujours, pratiquement, ainsi que son indépendance, parce qu'on a des cheminements qui sont très parallèles", assure Salomé Zourabichvili, à la différence de la Hongrie, qui tenait la présidence jusqu'au 31 décembre, et de son Premier ministre Viktor Orban, venu en Géorgie au lendemain des élections féliciter le Rêve géorgien.
Manifestations quotidiennes
"Ce régime, il est complètement refermé sur lui-même. Ils ne sortent pas dans la rue, ils tiennent des réunions derrière des portes closes et ils ne gouvernent plus. Il n'y a pas de décisions qui soient prises à part celle sur la répression", dénonce la présidente rebelle.
Une cinquantaine de manifestants sont déjà derrière les barreaux, après des manifestations quotidiennes : "Elles se sont déroulées par de grands froids au mois de décembre. Et la détermination de cette population qui manifeste est totale parce qu'il n'y a pas de chemin en arrière. Vous avez raison de dire que les répressions s'accentuent. Il y a une politique d'intimidation" indique Salomé Zourabichvili.
"Il y a quelques jours, c'est l'ancien Premier ministre qui a été battu en plein hôtel Sheraton à Batoumi, la troisième ville du pays. Il a été ensuite convoqué pour un interrogatoire et menacé de poursuites criminelles. Cela peut arriver à tout le monde, même si on est très connu, même si on est très soutenu par la population", poursuit-elle. Salomé Zourabichvili n’a pas peur de retourner en Géorgie : "Je n'ai pas plus peur que mes concitoyens qui sont dans la rue tous les soirs et qui vont y rester pour la seule raison que c'est existentiel pour les Géorgiens".
Sanctions américaines
Les États-Unis et le Royaume-Uni ont imposé des sanctions à plusieurs hauts responsables géorgiens, notamment à l'encontre de Bidzina Ivanichvili, un milliardaire considéré comme l'homme fort de la Géorgie dont la fortune de 5,5 milliards, dépasse le budget du pays.
La cinquième présidente géorgienne avait rencontré Donald Trump à Paris puis vu des membres de son administration à Washington, "car les sanctions américaines, extraterritoriales, sont très puissantes", en insistant sur le risque que les grands ports de la mer Noire pourraient tomber dans les mains chinoises.
"La Géorgie a commencé, sous le Rêve géorgien et de façon accélérée ces derniers mois, à faire venir les Chinois et à signer un accord de partenariat stratégique avec la Chine. Des négociations dont personne ne sait rien parce qu'elles ne sont pas transparentes, mais sont en cours sur le port d'Analakely, qui est le grand projet sur la mer Noire, ainsi que sur le second aéroport où il semble bien que les Chinois soient en train de devancer les Français d’ADP, qui était l'un des candidats les plus probables avant", avertit l’ancienne diplomate française et géorgienne.
Ce à quoi le Premier ministre de Rêve Géorgien répond avoir les mêmes valeurs conservatrices que le président Trump. "Ses amis ne sont pas vraiment les amis des Américains. Ce sont les Chinois, les Iraniens, les Russes. Et donc je ne pense pas qu'il suffise de jouer avec la soi-disant proximité idéologique qui est un pur paravent pour permettre de renouer les fils avec les Américains après avoir véritablement eu une rhétorique anti-américaine que l'on n'a jamais entendue en Géorgie" témoigne-t-elle.
"Si on a une armée, c'est grâce aux Américains. Si on a les institutions, c'est grâce aux Européens. Et ce régime, depuis deux ans, depuis la guerre en Ukraine pratiquement, ne cesse de tourner le dos à nos partenaires” conclut-elle.
Emission préparée par Oihana Almandoz, Perrine Desplats, Isabelle Romero et Eléonore Pointeau