Changement d’ambiance en ce début d’année 2025 pour l’Europe qui démarre un nouveau cycle. Après 6 mois d’une très controversée présidence hongroise du Conseil de l’Union européenne, la Pologne a pris le relais le 1er janvier, avec le très pro-européen Donald Tusk, qui fut président du Conseil européen de 2014 à 2019. Nous recevons pour en parler l’ambassadeur de France en Pologne, Etienne de Poncins, qui était en poste à Kiev lorsque Vladimir Poutine a déclenché sa guerre contre l’Ukraine.
La Pologne a succédé à la Hongrie de Viktor Orban à la présidence du Conseil de l’UE. Pendant les 6 mois de sa présidence, le dirigeant hongrois a multiplié les voyages polémiques - en Russie ou en Chine, par exemple - et "la Hongrie n'a pas joué collectif. Elle n'a pas joué son rôle de présidence qui est d'essayer de faire converger les positions. Au contraire, ils ont joué leur rôle en individualiste", déplore Etienne de Poncins, ambassadeur de France en Pologne.
La passation de pouvoir entre les deux États a été chaotique, en raison de différends politiques de longue date entre Viktor Orban et Donald Tusk, mais également de l’asile politique accordé par la Hongrie à l’ancien vice-ministre de la Justice polonais, membre du parti d’opposition Droit et Justice (PiS), et qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen émis par son pays : "Cela ne se fait pas entre États européens. Viktor Orban joue le jeu de l’opposition à Donald Tusk !", estime Etienne de Poncins.
"Avec la présidence polonaise, nous sommes contents de retrouver une vraie présidence européenne. C’est une bonne nouvelle et un bon timing. Un moment important pour l'Europe parce que ce sera la première présidence utile", qui sera, selon l’ambassadeur, "en soutien de la Commission von der Leyen 2, avec des vues qui correspondent assez largement, et c’est satisfaisant, aux vues françaises", se réjouit-il.
Coalition avec des partis conservateurs, centristes et libéraux
La Pologne a été en conflit avec Bruxelles pendant huit ans lorsqu’elle était dirigée par le PiS ultra-conservateur, pour manquement à l’État de droit. Le Premier ministre Donald Tusk a "la volonté de sortir de cette période-là, et ça a été validé par la Commission européenne qui a rétabli les fonds européens très vite après son arrivée au pouvoir en décembre 2023. Mais il y a les difficultés rencontrées pour faire passer ce retour à l'État de droit, notamment en raison d’une cohabitation très dure, due au fait que le président polonais Alexander Duda, de l'ancien parti au pouvoir, dispose d'un droit de veto et peut donc bloquer les lois", explique Etienne de Poncins.
De plus, Donald Tusk a dû former une coalition avec des partis conservateurs, centristes et libéraux, "donc sur tous ces sujets de société qui ont beaucoup mobilisé l'électorat en faveur de Donald Tusk, que ce soit sur l'adoption de l'équivalent de notre PACS, par exemple, l’union des homosexuels, ou sur l'avortement, il faut bien reconnaître que les progrès n'ont pas été aussi rapides qu’on pouvait l’espérer".
Depuis le retour au pouvoir de Donald Tusk il y a un an, la Pologne est en train de s’imposer sur la scène européenne, alors même que la France et l’Allemagne sont fragilisées par les échéances électorales.
À lire aussi2025, année compliquée pour l’Union européenne
Etienne de Poncins parle d’un "moment polonais en Europe", car non seulement l’ancien Président du Conseil Donald Tusk "connait très bien les arcanes de Bruxelles", mais la Pologne, "qui avait eu raison en alertant pendant des années sur le danger russe, apparaît comme le soutien principal ou très en pointe sur la guerre en Ukraine".
Enfin, le pays a un remarquable résultat économique, avec un chômage à 2,5 %, et sa croissance est la plus forte d’Europe. Vingt ans après leur entrée dans le club européen, "c'est très probablement l'un des succès les plus remarquables d’une adhésion" à l’UE.
Craintes d'une augmentation de la désinformation
Pour la première fois lors de la conférence des ambassadeurs, Emmanuel Macron a invité l'Ukraine à mener des discussions réalistes sur les questions territoriales.
“C'est la prolongation de ce qu’il dit depuis le début de la guerre : il appartient aux Ukrainiens eux-mêmes de décider du moment et des conditions dans lesquelles ils considéreront que le moment est venu de faire la paix ou d'accepter un cessez-le-feu et que nous ne nous substituons pas à leur propre décision", explique Etienne de Poncins.
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, qui veut imposer un cessez-le-feu très rapide en Ukraine, n’inquiète pas le diplomate : "Du côté des Européens, il y a beaucoup de concertations pour voir comment maintenir ce soutien à l'Ukraine. Il y a des échanges à tous les niveaux, en divers formats, pour faire en sorte que l'Europe soit entendue, qu'elle soit à la table des négociations".
Mais le risque est que la Hongrie s’allie avec d’autres pays de l’UE comme la Slovaquie, très pro-russe, ou encore l’Autriche, bientôt dirigée par l’extrême droite, afin de former une minorité de blocage : "Pour l'instant, la tendance très largement majoritaire, c'est quand même le soutien à l'Ukraine", nuance l’ambassadeur, "Celui-ci se manifeste et va se remanifester encore pendant la présidence polonaise, avec l'adoption très vraisemblablement d'un nouveau paquet de sanctions, le 16ᵉ paquet de sanctions envers la Russie, et le maintien de ce soutien aussi longtemps qu'il le faudra".
Donald Trump emmène Elon Musk dans ses bagages à Washington, faisant craindre une augmentation de la désinformation.
À lire aussiMenaces d'annexion du Groenland par Donald Trump : Paris dénonce "une forme d'impérialisme"
Paris a exhorté la Commission européenne à une plus grande fermeté vis-à-vis du milliardaire, qui soutient fermement le parti d'extrême droite AfD en Allemagne.
L’Europe "cherche à se réarmer dans ce domaine-là pour faire face à des guerres hybrides dans un monde où c’est la loi de la force qui s’impose, et il n’est pas trop tard", confirme Etienne de Poncins.
"Il faut se préparer, se réarmer, également militairement, et c'est l'objet des programmes que nous conduisons", ajoute-t-il.
Avec sa participation à l’OTAN à hauteur d’au moins 4 % de son PIB, la Pologne fait figure d’exemple : "Elle nous montre le chemin avec cette volonté de réarmement parce qu'elle est en première ligne, avec les pays baltes".
Emission préparée par Isabelle Romero, Luke Brown et Perrine Desplats