Ici l'Europe

Rafael Grossi : "le nucléaire n’est pas la panacée, mais essentiel pour tenir les accords de Paris"


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Cette semaine européenne est marquée par deux sommets importants à Bruxelles : l'un consacré à l’Ukraine, l'autre à l’énergie nucléaire. Ce dernier, le premier du genre, est coorganisé par la Belgique et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Nous recevons Rafael Grossi, directeur général de cette institution internationale placée sous l’égide de l’ONU dont les attributions sont non seulement le contrôle et la limitation du développement des applications militaires de l’atome, mais aussi la promotion de ses usages civils et pacifiques, qui font l'objet de ce sommet.

Rafael Grossi se réjouit de la tenue de ce sommet : "Le fait que les leaders du monde se retrouvent ici autour du nucléaire civil, de l’énergie nucléaire, en dit long sur les nombreux défis liés à l’énergie auxquels le monde fait face actuellement, comme la décarbonation ou le mix énergétique." Mais il en convient, "il y a un consensus global sur le fait que le nucléaire n’est pas la panacée, mais sans le nucléaire, nous ne pourrons pas arriver au niveau des accords de Paris [sur le climat]", conclus en 2015. Il souligne à ce propos "l’hostilité" historique des COP à l’encontre du nucléaire, mais rappelle que lors de la dernière édition – à Dubaï au mois de novembre 2023 –, "on est arrivé à un consensus pour dire que le nucléaire doit être accéléré. C’est selon moi un retour au réalisme."

Pour pouvoir financer la production de cette énergie décarbonée, Rafael Grossi se montre très clair : "les financements publics sont indispensables, mais on est devant un paradoxe, parce que ces institutions de financement international interdisent dans certains cas le financement du nucléaire. [...] Elles sont en décalage par rapport au marché, aux décisions politiques et à la société. [...] Je suis en consultation avec la Banque mondiale et avec d'autres instances pour faciliter l'accès aux financements publics pour des projets nucléaires."

Le reste de l'Europe n'a pas suivi l'Allemagne dans sa sortie du nucléaire

Le 15 avril 2023, les dernières centrales allemandes encore en service ont été arrêtées, 21 ans après la décision de l'Allemagne de sortir du nucléaire. Rafael Grossi "respecte" cette décision, mais observe qu'"aucun autre pays n’a suivi cette voie et, au contraire, on voit que les pays s'engagent de plus en plus. [...] La réalité, c’est que le nucléaire a un record de sécurité et de sûreté assez remarquable et la technologie a énormément évolué. [...] On sait qu'on ne pourrait pas s'en sortir avec une seule source d'énergie propre et l'énergie nucléaire est reconnue comme une énergie très efficace et très très stable."

La question du traitement des déchets, qui restent dangereux pendant des milliers d’années, fait également polémique. Rafael Grossi l’affirme : "Les déchets ne se détruisent pas complètement, mais ils sont gérés d'une manière sûre. Et il faut faire des compromis. [...] L'alternative serait de continuer avec des activités énergétiques qui nuisent à la planète de manière immédiate, vérifiable, constante et permanente". Avec l’énergie nucléaire, "on a des endroits sûrs où on peut déposer ces déchets et qui ne posent pas un problème réel sur l'environnement".

Zaporijjia : une centrale nucléaire au cœur des combats

Après deux ans de guerre en Ukraine, aux portes de l'Union européenne, le Kremlin se livre à des cyberattaques contre des pays ou des institutions publiques. Le risque que ces attaques se dirigent contre des installations nucléaires soulève des inquiétudes. L’AIEA "surveille" ce risque, mais il précise que "les attaques, cyber ou autres, sont un problème militaire qui peut influencer non seulement le nucléaire, mais toute autre activité. Ce n'est pas parce qu'une centrale nucléaire a été occupée militairement que la technologie nucléaire a un problème. Le problème, c'est la guerre, c'est la confrontation."

Il fait bien sûr référence à la centrale ukrainienne de Zaporijjia, au cœur de la guerre en Ukraine, dans laquelle l’AIEA "a réussi à avoir une présence permanente. Nous avons nos experts sur place et nous dialoguons en permanence – un dialogue qui n'est pas facile – avec le président Vladimir Poutine", nous dit Rafael Grossi. Mais les Ukrainiens accusent l’institution de ne rien imposer à la Russie. "Mon rôle, c'est d'éviter un accident nucléaire. Et je parle évidemment aussi au président Zelensky. [...] Je ne peux pas, en tant que chef d'une organisation, faire pression sur un État."

Du nucléaire civil au nucléaire militaire, il n’y a qu’un pas, et la communauté internationale s’inquiète de la volonté de l'Iran de se doter de l'arme nucléaire, en particulier dans le cadre d'un conflit entre Israël et Gaza. L’AIEA a constaté une augmentation des stocks d'uranium du pays, ce qui remet en cause l'accord international signé en 2015. L’Iran a par ailleurs restreint la coopération avec l’agence internationale : "l'activité nucléaire en Iran augmente, et j’ai toujours dit qu’ils pouvaient faire cela. [...] Mais ce qu’il se passe dans le pays n'est pas anodin : ils ont un stock d'uranium enrichi à un niveau très proche du niveau militaire, qui est à 90 %, et ils sont à 60 %. Cela ne veut pas dire qu'ils ont déjà automatiquement l'armement nucléaire, mais c'est quand même inquiétant. C'est pour ça que je leur dis que s’ils n’ont rien à cacher, alors qu’ils permettent à nos inspecteurs de faire leur travail."

La menace nucléaire russe

Autre pays, autre risque : le président Vladimir Poutine a averti l'Occident que la Russie était techniquement prête à une guerre nucléaire et qu’elle était dotée de meilleures armes, après avoir sorti son pays du traité interdisant les essais nucléaires en novembre 2023. "On sait que les pays dotés de l'arme nucléaire sont en principe prêts à l’utiliser, sinon à quoi servirait la théorie de la dissuasion. [...] Ma mission, ce n'est pas de désarmer, mais d'éviter la prolifération, c'est-à-dire que davantage de pays se lancent dans des projets d'armement nucléaire [...] et je m’inquiète de cette surenchère", nous dit Rafael Grossi, car "plus on brandit la menace de l'arme nucléaire, plus les pays seront tentés [de s’en doter]. Certains en parlent déjà", nous dit-il.

L’Europe est liée à la Russie dans le secteur du nucléaire : l’entreprise Rosatom, qui échappe aux sanctions européennes, occupe une place clé dans les approvisionnements de l’Union européenne en uranium enrichi. Environ 30 % des centrales européennes en dépendent, et cette situation ne peut pas être changée à moyen terme. Rafael Grossi rappelle à ce propos que "plusieurs projets à long terme préexistaient à la guerre. On ne peut pas tout arrêter du jour au lendemain, cela nuirait énormément à certains pays d’Europe de l’Est qui dépendent complètement des réacteurs nucléaires, qui datent pour la plupart de l’époque soviétique. [...] Ce n’est pas faisable politiquement." Il souligne que les États-Unis et la France, notamment, "développent des capacités de fabrication de combustible nucléaire" pour s’émanciper de la Russie, "mais ça prendra un peu de temps", conclut-il.

Une émission préparée par Perrine Desplats, Isabelle Romero, Sophie Samaille (images Luke Brown et Alix Le Bourdon)

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