Depuis un an, Suzane nous surprend, nous épate, nous enthousiasme grâce à son projet artistique qui allie chant et danse, musique électro et chanson à textes. Cette jeune artiste française a sorti un premier album très attendu ce 24 janvier 2020, intitulé Toï Toï.
Avant de commencer Suzane, nous voudrions vous montrer une photo et vous demander ce qu’elle vous inspire...
Ah ! (sourire) C’est une photo de Bruce Lee, pour son film La Fureur du Dragon. Effectivement, c’est un film que j’ai beaucoup regardé avec mon père, qui est fan d’arts martiaux. Et ce Bruce Lee est revenu plus tard quand j’ai voulu faire cette combi que je porte chaque jour sur scène. Je me suis beaucoup inspirée de Bruce Lee car j’avais envie d’une combi de combat, pour entrer dans l’arène, pour rentrer sur scène.
Comment est né justement le personnage de Suzane ? Océane est votre véritable prénom… donc est-ce que le pseudo permet de se créer un véritable personnage ?
Je pense que le pseudo m’a permis de trouver un peu plus de liberté. Quand je suis Océane, je me juge beaucoup, sur mes écritures, sur beaucoup de choses… En étant “quelqu’un d’autre”, je me permets beaucoup plus de choses. Donc j’ai l’impression de me sentir encore plus moi-même en étant Suzane. C’est un peu le but de ce pseudo.
Ce pseudo correspond à quelque chose de particulier ?
Bien sûr ! C’est le prénom de mon arrière-grand-mère. Je lui ai piqué car j’ai toujours trouvé ce prénom extrêmement joli, avec ce “z” en plein milieu, qui sort de nulle part… Je trouve que c’est un prénom qui a beaucoup de caractère, et c’est une figure féminine qui m’a beaucoup marquée. Donc j’avais aussi un peu envie de lui rendre hommage en lui prenant son prénom.
Vous l’avez un peu connue ? Parlez-nous un peu d’elle...
Je l’ai connue assez peu… quand elle est partie, je devais avoir six ou sept ans. Mais je l’ai assez connue pour ce que ça me marque.
Votre première expression artistique a été la danse et non la chanson, en fréquentant le conservatoire d’Avignon de cinq à dix-sept ans. Du coup c’est par le classique que vous commencez la musique…
J’ai commencé la danse un petit peu par hasard à cinq ans. J’étais d’abord dans un petit village à côté d’Avignon. Ma mère accompagnait ma sœur le mercredi après-midi mais elle n’avait pas de nounou pour moi ce jour-là donc j’y suis allée avec elles et, alors que ma sœur a détesté la danse classique, moi, j’en suis tombée folle amoureuse. Ensuite, à sept ans, j’ai demandé à ma mère d’entrer dans cette grosse école qu'était le Conservatoire, pour y trouver des techniques encore plus poussées. Ces dix années au Conservatoire ont été très intenses. Je dansais tous les jours de 13h à 19h, sauf le dimanche. J’étais en danse-études.
“Derrière ton bar en bois, sauf pendant les heures creuses, tu rêves de l’Olympia, d’exister devant la foule curieuse”... Ça a été dur d’en arriver là Suzane ? Vous pensiez qu’on ne croyait pas en vous ?
Quand j’ai écrit ces paroles, j’étais serveuse dans un restaurant du 20e, un restau de quartier. Et je me revois le matin arriver, mettre la salle en place, préparer les tables, et rêver de cet Olympia. Il s’est passé tellement de choses entre temps. Je ne pensais pas que tout ça allait arriver, ce sont des paroles un peu prémonitoires. C’est incroyable qu’une chanson puisse prendre vie, et changer la mienne.
Vous pensez qu’il y avait peu de raisons que l’on croie en vous au départ ?
Oh oui, en effet, il y avait peu de raisons ! J’ai toujours été habituée à dire que je voulais monter sur scène. Les gens savaient que je faisais de la danse etc… mais c’est vrai qu’arrivée à seize ans, quand on vous demande ce que vous voulez faire plus tard (et cette question arrive très tôt !), moi je savais, mais on me disait que ce n’était pas possible, que c’était un métier basé sur du fantasme et qu’il fallait que je choisisse quelque chose de réel. Or, je ne comprenais pas puisque j’avais toujours travaillé pour ça au Conservatoire ! Et un jour on me dit que tout ça, ce n’est pas possible ! Donc oui, il y avait de l'inquiétude de la part des adultes autour de moi à cette époque. Ensuite, ils ont compris que de toute manière, mon rêve était devenu complètement vital, on m’a donc laissé faire car je suis beaucoup trop têtue !
Et quelle place occupait la musique ?
La musique m’a nourri. J’ai commencé à danser sur de la musique classique à la base. Puis ensuite sur de la chanson française. J’ai découvert les grands du texte, de la voix. J’écoutais beaucoup Piaf, Barbara, Brel quand j’étais au Conservatoire entre deux cours pour couper un peu. Je me suis alors prise d’amour pour les mots, pour les voix, et j’ai découvert un nouveau moyen d’expression qui plus tard est devenu essentiel.
Lorsque l’on lit vos interviews, on voit que deux artistes reviennent souvent comme deux références importantes pour vous : Stromae et Chris…
Ce sont de très belles références d’artistes très singuliers qui ont su casser les codes. Ce sont des gens qui ont inspiré la nouvelle génération. Christine est une artiste pluridisciplinaire… Il y a quelques années, on disait d’un artiste qu’il était chanteur ou danseur ou autre, bref, il y avait forcément une case. Or, aujourd’hui, la pluridisciplinarité arrive sur scène grâce à des gens comme ça. Ça m’a permis de m’imposer avec mon bagage, le chant, la danse, l’écriture, etc. Tout est lié, et c’est ce genre d'artiste qui m’a permis d’en arriver là aujourd’hui. Donc oui, de très belles références… Après, j’espère qu’on pourra dire un jour “ça c’est du Stromae, ça c’est du Chris, et ça c’est du Suzane” !
Quelle est la première chanson que vous avez écrite ?
Dans la foule, ça parle d'une fille un peu perdue, et je ne l’ai jamais sorti. Mais la toute première que j’ai sorti est L’Insatisfait. Là, je me suis dit, celle-là, je vais la sortir.
Quelle est l’origine de cette chanson ?
J’étais donc serveuse et je servais un monsieur. Il avait l’air très insatisfait. Il renvoyait ses plats, etc. J’ai fait tout ce que je pouvais pour essayer de comprendre, je ne savais plus quoi faire. Je suis allée chercher ce sentiment en moi, l’insatisfaction. C’est quelque chose que l’on ressent tous finalement. Et je vois bien qu'à chaque concert, les gens se reconnaissent facilement dans ce texte…
Vous vous dites “conteuse d’histoire”... C’est une écriture du quotidien, une écriture réaliste que vous proposez...
Oui, j’apprécie beaucoup les textes de Fréhel ou Piaf. Je leur rends hommage. C’est le quotidien qui m’inspire, qui me nourrit, et bien sûr les personnages qui font ce quotidien. J’aime bien essayer de décrire l’univers dans lequel j’évolue, en tant que citoyenne aussi.
Vous sortez un premier album, intitulé Toï Toï. En allemand cela veut dire “bon courage” ou “bonne chance”. Pourquoi ce titre ?
Ce titre est plus une sorte de grigri en fait. La première fois que je suis montée sur scène on m’a dit “toï toï” et je ne comprenais pas trop ce que ça voulait dire à la base. Et c’est vrai que c’est un mot qui ne m’a jamais quitté, notamment cette année où j’ai eu la chance de faire beaucoup de scènes. J’ai eu de grands tracs et ce toï toï m’a beaucoup accompagné sur scène. Donc oui, bonne chance quoi ! J’ai envie de souhaiter bonne chance à ces quatorze chansons, qu’elles puissent voyager !
Justement, ces chansons… Comment les avez-vous écrites ? Vous nous avez parlé de vos inspirations… Parlons de votre processus créatif. Au départ, c’était sur un carnet d’additions ?
Oui, ça commençait très souvent comme ça oui ! “Vite vite un carnet d’additions entre le faux filet et le cabillaud !”. Je notais vite des phrases, puis je récupérais tout ça chez moi. Pour écrire, je commence très souvent le texte avant la musique. J’ai besoin d’assez de temps pour écrire. J’ai besoin de voir le film, qu’il soit vraiment clair. Et ensuite je peux commencer à écrire. Quand j’écris une chanson, je suis dans un truc où je regarde tout. J’ai l’impression d’un accouchement, ça peut même être violent. Parfois des émotions peuvent remuer. C’est un processus où toute ma vie rentre en compte.
Bref c’est tout un truc. Et la musique vient broder ensuite. Elle s’ajoute subtilement. Mon but est de mettre le texte en avant, même si la musique est évidemment primordiale car elle arrive pour appuyer les mots. Je pense que sur cet album, c’est plutôt bien réussi. Ensuite je vois mon ami Valentin Marceau en studio. C’est mon réalisateur et j’aime travailler avec lui car il est très talentueux et autant capable de bosser avec moi qu’avec Michel Sardou ou d’autres... C’est quelqu'un qui comprend vraiment l’ADN des artistes. On a poussé ces chansons jusqu’au bout avec Valentin.
Donc c’est plutôt un processus solitaire au départ…
Ah oui complètement. Je suis très seule au départ, j’aime beaucoup ça d’ailleurs. Ensuite je m’ouvre petit à petit pour le bien de la chanson. J’aime beaucoup fonctionner comme ça.
Vous avez même fait une chanson sur vous-même qui porte votre nom de scène, “Suzane”. Pourtant, ce n’est pas vraiment un égotrip…
Non parce que je ne voulais pas que ça le soit. Je voulais que cette chanson parle au plus de gens possible. Je pense ne pas être la seule à avoir des rêves. On en a tous. Je voulais rappeler aux gens que parfois, il ne faut pas trop écouter ses proches car ils sont toxiques car ils s’inquiètent. Ce sont les premiers à nous dire de faire gaffe, et c’est pas méchant. Je voulais dire qu’il fallait oublier tout ça, et que quand on a l'impression que pour soi, c’est ce chemin et pas un autre, eh bien il faut le suivre.
Au travers des textes que vous écrivez, il y a beaucoup de sujets actuels, comme le harcèlement sexuel, l’homosexualité, l’écologie, l'addiction aux nouvelles technologies… Il y a des messages que vous souhaitez faire passer… Comment allez-vous chercher toute cette inspiration ?
Je pense que dans ma vie de citoyenne, il y a des choses qui me parlent plus que d’autre. Et comme dirait Julien Clerc, une chanson peut être utile aussi. Je pense que la musique est une grande arme. Elle peut soulever des questions, avec de l’humour ou pas, sans donner de leçons. Avec une écriture plus frontale. Je suis touchée par ces thèmes depuis quelques années. J’essaie de décrire ce monde dans lequel je vis. C’est un moyen de me défendre que de parler de ça.
On entend que vous êtes une artiste concernée, voire engagée… Que pensez-vous de cet engagement de l’artiste ?
Quand l’artiste est engagé, c’est que déjà, l’humain l’est à la base, je crois. On n’est pas tous des artistes engagés, et heureusement. Il faut de tout. Des chansons d’amour, des chansons engagées. Moi je pense que oui, je suis comme ça… Du coup je m’arrête sur ce genre de thèmes. Le mot “concernée” est très juste. Je ne vais pas faire une manif à chaque fois car malheureusement je n’ai pas le temps, mais j’ai envie de m’exprimer par l’art et par la musique. C’est ma manière à moi de montrer mon engagement.
Dans “Il est où le SAV ?”, on est clairement entre la chanson et l’électro… Comment êtes-vous arrivée à cette osmose ?
Pour moi ce contraste est une évidence. J’ai tellement écouté de chanson française en étant jeune, ensuite je suis arrivée à l’électro vers dix-sept ans après le Conservatoire. Je suis sortie un peu en clubs à ce moment-là, où j’ai découvert Daft Punk, Vitalic, Justice... J’ai trouvé ça très puissant et ça ne m’a jamais lâché. Une vraie claque. Au moment où je commençais à faire de la musique, ça m’a paru évident d’intégrer tout ça. Voilà, c’est tout cela qui fait aujourd’hui mon ADN.
Votre projet artistique mêle donc danse et musique. Comment fait-on vivre tout ça quand on est seule en scène, et qu’on est l’artiste la plus programmée en festivals en 2019 ?
Depuis ma première scène au Forum de Vauréal en 2018, je vis de vraies rencontres avec le public. Donc je ne suis pas vraiment seule ! Avec mon déclencheur Akaï Mini je balance les sons quand je veux, c’est une extrême liberté pour moi sur scène. C’est tellement différent de l’époque de danse classique avec mon petit chignon bien aligné, le même rouge à lèvres, etc. Il fallait même que je dise à ma mère “alors je suis celle devant à droite” (rires) donc là sur scène je suis passée du tout au tout. Et c’est vrai que de ne pas avoir une chorégraphie à respecter, je me sens bien comme ça. Je danse, je peux improviser, il n’y a rien d’arrêté.
Vous êtes plutôt du genre “traqueuse” avant de monter sur scène ?
Oh oui je le suis. Mais en même temps, c’est le trac qui me fait monter sur scène. C’est une adrénaline mais ça peut aussi être un peu paralysant. Il faut faire attention mais c’est vrai que cette année j’ai eu la chance de n’avoir que du bon trac, et ce toï toï qui m’accompagne pour monter sur scène. J’essaie à chaque fois d’avoir un petit rituel en m’échauffant le corps ou la voix. Je suis assez exigeante sur scène, je pense que ça vient de la danse classique. Alors voilà, j’essaie vraiment de me préparer car je pense que la scène, ça se mérite. Je fais donc tout à fond pour la mériter.
Vous avez aussi fait une mini tournée en Chine l’an dernier…. Quel sentiment en avez-vous gardé ?
Au début je me suis dit “mais pourquoi mon tourneur m’envoie en Chine ?”. Je me disais qu’ils ne comprendraient pas ma langue et qu’ils s’en ficheraient. Au contraire, j’ai été super bien accueillie. Pas comme Madonna mais quand même ! Ça a été très enrichissant car c’est là où j’ai écrit Il est où le SAV ? car j’ai été particulièrement choquée par la pollution à Shanghai, il y avait un smog permanent et dense partout, on rentrait à l'hôtel et on se mouchait noir ! Je me suis dit qu’un jour le monde serait comme ça... Ça a été très intense, je ne regrette pas d’être partie en Chine et j’espère y retourner.
Quel est votre rêve aujourd’hui Suzane ?
J’en ai encore beaucoup. Mais il y en a un qui va se réaliser le 1er décembre 2020, je l’ai su il y a quelques jours et je le partage avec vous : mon premier Olympia aura lieu à cette date. Je trouve ça fou. Je me revois encore en train d’écrire ces paroles sur ce fantasme dans ce restaurant. J’en rêvais et là je vois marqué “Suzane à l’Olympia le 1er décembre”. Mon rêve est que j’espère ne jamais perdre ce truc d’être impressionnée par ce qui m’arrive. De ce que la musique amène dans une vie.
Propos recueillis par Valérie Passelègue et Laurent Coulon, pour RFI et La Fabrique Culturelle.