Cinq ans après l’incendie de Notre-Dame de Paris, 100 % création vous propose de partir à la rencontre des compagnons, artisans d’art ou designers qui ont travaillé sur ce chantier emblématique. Régis Mathieu, lustrier, est en charge de la rénovation des lustres de Notre-Dame de Paris. Maître artisan, sa vision artistique et sa quête d’excellence lui ont permis de collaborer avec de prestigieux monuments historiques, comme celui de Notre-Dame de Paris.
Le mot lustrier, quand je le dis pour la première fois, les gens me regardent bizarrement en disant c’est quoi ce métier, alors que tout le monde sait ce que c’est un lustre !
Régis Mathieu, lustrier
Je laisse cours à mon côté artistique qui est très développé chez moi. C’est très facile pour moi de créer des luminaires. C’est plus difficile de savoir lequel je vais vraiment créer ou lequel je vais garder en dessin ou dans ma tête. Je crée comme cela un pendant à ma collection de lustres qui m’est personnelle dans le choix et dans l’œil, si vous voulez, mais qui raconte aussi une histoire.
Régis Mathieu est originaire de Marseille, sa famille est dans les luminaires, haut de gamme, contemporains. Il suit des études en école de commerce et en même temps son apprentissage du métier dès l’âge de 20 ans. Après le décès de son père, sa mère reprend l’entreprise. À la fin de ses études de commerce, c’est à son tour. Il repositionne alors l’entreprise pour que le lustre soit un objet de luxe, à la croisée de l’artisanat et de l’esthétique contemporaine.
« Cela m’a bien pris 10 ans pour que je me sente compétent. Après, j’acquiers ce savoir-faire par la restauration et par la passion. Une passion effrénée. J’achète des modèles, toute la biographie sur ce sujet, rencontrer des gens aussi passionnés que moi et devenir très vite le spécialiste des lustres. C’est arrivé vite parce que je n’avais pas de concurrence. Il n’y avait personne qui était spécialiste des lustres. C’est assez confortable pour moi. C’est-à-dire que même si je ne sais pas grand-chose sur mon sujet, j’en sais toujours plus que les personnes que j’ai en face de moi, donc, je peux leur apporter quelque chose. Pour ne pas être passéiste - à 25 ans, c’est sympa de faire "des métiers de vieux" poussiéreux et d’enlever les toiles d’araignées sur les lustres -, mais il faut que je sois un peu de mon temps, il faut que j’expose dans des foires, que je passe dans des journaux de mon temps. Je décide de créer des luminaires contemporains. C’est assez prétentieux parce que ce sont les mêmes mains qui rééditent les lustres des maîtres qui vont créer des luminaires contemporains. J’ai la prétention de me dire : "Qu’est-ce que nous allons restaurer demain quand nous parlerons d’aujourd’hui ?" Moi, je restaure des lustres de 1750, mais c’est quoi le lustre de 2000 par exemple ? Et je me dis, puisque je ne trouve pas, puisque je ne vois pas ce que c’est, je vais le créer. Je me sers, donc, des savoir-faire, des matériaux nobles et des savoir-faire historiques pour créer des formes d’aujourd’hui. »
Un engagement pour la sauvegarde du patrimoine
L’engagement de Régis Mathieu est profond pour la sauvegarde du patrimoine, avec des projets publics comme celui de Notre-Dame de Paris. « Nous sommes allés chercher les lustres. Nous les avons dépollués parce qu’ils étaient pleins de plomb, parce que le plafond avait fondu évidemment à l’intérieur. Un travail de dépollution avec des normes que je ne connaissais pas. Pour la petite anecdote, ma fille, Inès, est rentrée avec nous dans l’entreprise, et répondre à l’appel d’offres de Notre-Dame, cela a été son baptême du feu, elle l’a eu, c’est un signe qu’il faut qu’elle continue ! Je n’avais jamais fait de dépoussiérage de plomb aussi lourd que celui de Notre-Dame, où il fallait être en scaphandrier avec l’air qui était traité et faire un travail afin de pouvoir emmener les lustres en atelier, etc. Eh bien, c'est Inès, ma fille, qui s’en est chargée. Elle m’a dit : "C’était un beau souvenir". Je suis content qu’elle m’ait dit cela parce que c’était physique. »
« Après, nous avons emmené les lustres à la lustrerie, avec un état des lieux, analyses, radiographies, pour savoir si c’était doré, pas doré, comment était la composition des vernis. Nous avons fait des sondages. Tout le travail classique de tous les restaurateurs. Nous arrivons à l’analyse que les lustres étaient vernis avec un gomme-laque plus jaune de chrome qui fait que cela fait une couleur très spécifique de jaune. Viollet-le-Duc a voulu des étoiles dans le ciel, les lustres ont, donc, une couleur d’étoile plus qu’une couleur d’or. Une fois que nous avons fait cela, la restauration des pièces a commencé. »
C'est Notre-Dame qui choisit comment les lustres doivent revenir à la cathédrale
« Avant, nous ne savions pas ce que nous pouvions leur faire, si nous pouvions leur taper dessus avec un marteau, les faire chauffer, etc. Nous restaurons les pièces qui étaient les plus endommagées. Et là, miracle, comme d’habitude, c’est Notre-Dame, les lustres qui étaient les plus endommagés, les plus tordus et les plus écrasés, nous les chauffons, ils sont mis sur des gabarits et ils reviennent, reprennent forme, comme s’ils avaient décidé de revenir à la cathédrale. »
Pour Régis Mathieu, chaque lustre restauré convient aujourd’hui à la cathédrale gothique. « Une fois que nous avions tout nettoyé, il restait des traces de jaune, des traces de marron, de noir. C’était uniforme et assez élégant. Nous nous sommes dit : "Pourquoi ne pas garder les lustres avec la patine du temps ? C’est leur histoire. Ils vont nous raconter un peu l’incendie." Nous avons fait un essai en restaurant un lustre, nous l’avons nettoyé au maximum. Nous mettons des bougies, l’emmenons à la cathédrale pour faire un essai sur place. Cela a duré 10 secondes. Le lustre, la cathédrale l’a rejeté, il n’était vraiment pas beau, ce n’était pas une bonne idée. »
« À ce moment-là, un des lustres, qui est le plus abîmé, nous le refaisons à neuf et nous faisons un nouvel essai à la même place, sans patine, sans affres du temps, sans ce que les autres lustres évidemment avaient, même s’ils étaient en bon état. Des manques de vernis, des traces noires et tout, mais qui donnaient un certain charme. Mais la cathédrale, elle est trop blanche, elle est trop parfaite. Elle a pris un coup de jeune et donc les lustres, il faut qu’ils jouent à l’unisson. Nous avons fait un lustre tout neuf que nous trouvions quasiment clinquant à la lustrerie. Mais c’est cela, c’était le travail de Viollet-le-Duc, c’est bruni, c’est brillant, il y a des parties qui sont volontairement clinquantes, et c’était le souhait de l’architecte. Et puis dessus des feuilles qui sont plus mates pour créer des volumes. Ce lustre, nous l’emmenons à la cathédrale. Nous avons alors, l’effet inverse. Nous sommes restés une heure à le regarder ! Cela va vraiment bien. »
Pour Régis Mathieu, il n’y a plus de hiérarchie quand on travaille pour Notre-Dame de Paris. « Je n’ai jamais eu un chantier comme cela, je suis même ému en en parlant, il se passe un truc très différent. Vous avez l’impression que vous faites quelque chose d’utile à quelqu’un que vous ne connaissez pas. À Dieu, à la mairie, à la cathédrale elle-même, pour les fidèles, dont je fais partie, mais en rapport avec la cathédrale elle-même. La cathédrale a accepté de ne pas être détruite, elle nous a choisis pour faire cela. Nous sommes tous dans la même équipe. C’est assez amusant. Pour mes compagnons et moi-même, cela pourrait être un chantier basique, surtout pour moi, parce que c’est la troisième fois que je travaille vraiment sur Notre-Dame de Paris. J’ai restauré les candélabres et travaillé à Notre-Dame dans ma carrière plein de fois. »
« Notre-Dame, notre jolie cathédrale Victor Hugo, un petit peu crasseuse, toute noire, un peu sale quand même. Chaque fois que j’y rentrais, je me demandais quand ils allaient la restaurer. Et l’incendie, c’est comme le 11-Septembre. Nous nous rappelons de ce moment très particulier où la cathédrale de Paris est partie en flammes spectaculaires avec la flèche qui tombe. Quand vous êtes en train de restaurer ces objets-là, il se passe quelque chose de différent. »
La reconstruction de Notre-Dame de Paris n’aurait pas été possible sans les métiers d’art et leurs savoir-faire et pour Régis Mathieu, c'est un chantier à part dans son parcours. « Nous nous sommes aperçus que sans les métiers d’art, sans ces savoir-faire, ces corporations, nous n’aurions peut-être pas été capables de reproduire Notre-Dame. Et il y aurait un parking aujourd’hui de 5 étages à la place de Notre-Dame. Merci à tous ceux qui ont travaillé dessus. Nous, nous le sentons pour les autres et nous le recevons pour nous. Toute cette équipe merveilleuse qui travaille sur ce chantier parce que tous les corps de métiers, l’architecte, la DRAC [la Direction régionale des affaires culturelles], tout le monde est passionné. Notre architecte des monuments historiques, il vit ce chantier de restauration d’une manière très spéciale. Je n’ai jamais vu cela ! Ce chantier, il est très différent. »
« À la lustrerie, personne n’a soufflé pour faire quelque chose sur les lustres de Notre-Dame. C’était difficile, lourd, sale, compliqué parce que des lustres étaient détruits, très abîmés, presque fondus, ils étaient tombés, s’étaient pris la nef par-dessus. Un lustre avait été refait plus tard. Il n’était pas le même que les autres. C’était du vernis, donc imaginez avec les flammes. Les vernis ont vraiment disparu. L’électrification, l’éclairage nouveau de la cathédrale, tout le travail standard, quotidien de notre métier, mais pour Notre-Dame, tout était très différent. Je pense que dans les métiers d’art, il y aura un avant et un après Notre-Dame. »
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