La première Journée de la Terre a eu lieu en 1970, au début d'une décennie marquée par l'émergence des questions environnementales dans le débat public. La publication du rapport Meadows sur les limites de la croissance provoque un choc dans les consciences écologiques.
Elle marque les esprits, la première Journée de la Terre, organisée uniquement aux États-Unis, le 22 avril 1970. Des millions d'Américains participent à des manifestations, et la chaîne de télé CBS diffuse une émission spéciale intitulée « Une question de survie ». À l’origine de ce « Earth Day », un sénateur démocrate : Gaylord Nelson, choqué un an plus tôt par une marée noire sur les côtes californiennes.
Aux États-Unis, comme en Europe, les marées noires se multiplient sous l’effet de l’intensification du commerce pétrolier. Et évidemment, les images choquent les populations. « Une marée noire, c'est spectaculaire, souligne François Jarrige, historien de l'environnement. Les pollutions étaient invisibles, mais là, il n’y a pas de débat : les oiseaux sont mazoutés, les habitants des littoraux voient les nappes de pétrole sur les côtes. Il y a une sorte d'immédiateté, d'évidence, de la nuisance. »
Le choc du rapport Meadows
Le début des années 1970 marque la fin des « Trente glorieuses », cette période de croissance économique ininterrompue depuis l’après-Seconde Guerre mondiale dans les pays occidentaux développées, mais on ne le sait pas encore. Un an avant le premier choc pétrolier, un rapport choc est publié en 1972 par le Club de Rome, qui rassemble des scientifiques, des économistes et des industriels : Les Limites de la croissance, connu aussi comme le rapport Meadows, du nom de ses deux principaux auteurs, Donella et Dennis Meadows. Ces deux chercheurs au MIT s’appuient sur des superordinateurs et la dynamique des systèmes pour élaborer des scénarios prédictifs – et catastrophiques. Le constat est simple : la croissance économique (et démographique) entraîne l’épuisement inéluctable des ressources de la planète.
« Il faut prendre conscience des réalités, prévient à l’époque le fondateur du Club de Rome, Aurelio Peccei. Si nous ne sommes pas capables de faire cela, alors je pense que les souffrances humaines seront presque infinies. » C'est l'apocalypse qui vient, et le rapport fait l’effet d’une bombe. C’est un carton en librairie : 12 millions d'exemplaires vendus en 37 langues. « Il a vraiment un impact planétaire, confirme l’historien François Jarrige. Quand vous ouvrez les quotidiens et les journaux de l'époque, les alertes du Club de Rome sont largement reprises, débattues. Le rapport Meadows rompt avec la confiance antérieure dans une sorte d'expansion continue et infinie. Ce rapport frappe les contemporains parce qu'il donne du sens à ce qui arrive à l'époque, et notamment la dépendance croissante à l'égard des énergies fossiles. »
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Mai-68 et les nouveaux mouvements sociaux
La prise de conscience de la fragilité du monde irrigue la société. Et les artistes s’en font les relais, à l’image du chanteur américain Marvin Gaye, et de son tube « Mercy, mercy me (The Ecology) » (soit « Pitié, par pitié (l’écologie) » – où il s’inquiète de la pollution des océans et des poissons empoisonnés au mercure. À l’été 1971, le titre est numéro 1 aux États-Unis. À l’époque, les alertes ne sont pas focalisées sur le réchauffement climatique comme aujourd’hui, mais sur les pollutions.
Pour autant, la conscience écologique ne date pas d’hier ni d’avant-hier. « Je pense qu’il très important de casser cette idée que l'écologie serait une préoccupation récente », estime François Jarrige, qui rappelle que le mot « écologie » apparait à la fin du XIXème siècle, avec la Révolution industrielle. À la même époque, d’ailleurs, un scientifique suédois, Svante Arrhenius, découvre l’effet de serre et établit le lien entre CO2 et température planétaire.
« Ce qui se passe dans les années 1970, c'est qu'on va assister à une démocratisation de ce langage au-delà du champ scientifique. Les années 1970 marquent moins l’émergence de la conscience écologique que la naissance de l’écologie politique », résume François Jarrige.
Les seventies signent la fin de l'âge d'or économique. Et dans le sillage de Mai-68, les lignes bougent en Occident. « On sort d'une période, d'une génération, où la question environnementale avait été un peu invisibilisée par l'expansion économique, l'enrichissement généralisé, constate encore François Jarrige. Mai-68 ouvre l'émergence de ce qu'on va appeler à l'époque les nouveaux mouvements sociaux, sur les questions de féminisme, de genre, et la question écologique. Le début des années 1970, c'est le moment d'apparition des grandes ONG environnementales, comme Greenpeace. Tout cela fait qu'on va assister l'entrée en politique de l'écologie. »
En France, par exemple, René Dumont, vêtu de son pull rouge, est le premier candidat écologiste à une présidentielle, en 1974. « La voiture cela tue, cela pollue et cela rend con », disait-il. Cette année-là, il recueille seulement 1,3 % des voix. La prise de conscience écologique a ses limites.
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