Elle sont issues de l'agriculture traditionnelle et millénaire et sont menacés par l'agro-industrie qui veut imposer son modèle. Les semences paysannes seraient pourtant plus adaptées au changement climatique.
Le feuilleton judiciaire se poursuit au Kenya, avec une nouvelle audience au tribunal aujourd'hui pour contester la loi qui interdit ce qu'on appelle les semences paysannes, ces graines qui échappent aux circuits contrôlés, issues des origines de l’agriculture, il y a près de 10 000 ans. Au fil des siècles, des millénaires, partout dans le monde, les paysans ont sélectionné des plantes, des variétés, en conservant une partie des graines de leur récolte pour les planter l’année suivante. Mais ce système millénaire a été mis à mal par l’arrivée, au XXe siècle, des multinationales de l’agronomie, qui ont obtenu que priorité soit donnée à leurs semences.
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C’est ce qui s’est passé au Kenya, en 2012, avec une loi qui interdit l’échange ou la vente des semences paysannes. Seules sont autorisées les semences certifiées, industrielles. Depuis, la loi est contestée en justice. « Les semences indigènes sont une de nos richesses, donc on ne comprend pas pourquoi des lois doivent être créées pour nous empêcher de jouir de la propriété et des bénéfices de nos semences. La loi sur les variétés végétales est une oppression pour les fermiers », expliquait un agriculteur kenyan, Francis Njiri, au micro de notre correspondante à Nairobi, Gaëlle Laleix.
Pressions sur les gouvernements
Sur le continent africain, c’est ce système qui s’est mis en place, notamment « sous la pression de généreux donateurs, comme la Fondation Bill et Melinda Gates », explique Famara Diedhiou, chargé de programme Afrique de l’ouest à l'Afsa, l'Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique. Ces puissantes institutions philanthropiques ont défendu les semences industrielles, plus performantes, au nom de la sécurité alimentaire, avec un discours tenu aux gouvernements en forme d’amicale pression : « Pour que je puisse mettre mon argent dans votre politique ou bien dans votre budget, il faudrait que vous souteniez cette forme d'agriculture, résume Famara Diedhiou. C'est dans ce piège que nos gouvernements et nos politiques publiques sont tombées. »
Un autre « piège » a aussi été tendu aux paysans eux-mêmes, rendus dépendants aux semences industrielles. Plus question de réutiliser des graines l’année suivante, comme cela se fait avec les semences paysannes. Les multinationales, qui doivent amortir leurs investissements dans la recherche agronomique, font des profits. Alors, pour contraindre les agriculteurs à acheter de nouvelles semences chaque année, les industriels « ont mis au point des limites technologiques qui font que, à partir de la deuxième ou de la troisième campagne, les rendements et les propriétés commencent à disparaître, accuse encore Famara Diedhiou. Finalement, les agriculteurs qui ont adhéré à ces types de semences deviennent hyper dépendants. »
Résistance à la sécheresse
Au Togo, entre les semences paysannes et celles des multinationales, le Réseau national des producteurs de semences certifiées revendique une troisième voie. Les semences ont bien été améliorées par la recherche agronomique, mais elles sont produites localement. « Nous conservons notre souveraineté, assure son président Valentin Konsana. Ce ne sont pas des semences hybrides, ni des semences OGM, ce sont des semences que la recherche produit dans un milieu naturel. Les semences paysannes, c'est peut-être écolo ou je ne sais quoi, mais est-ce qu’avec des rendements de 500 kilos à l'hectare, on peut nourrir sa famille ? J’ai travaillé longtemps en utilisant les semences paysannes, aujourd'hui, j'utilise les semences certifiées, la différence est très nette. » Les rendements des semences certifiées sont généralement meilleurs. Mais rien ne vaut les semences paysannes, disent leurs partisans, parce qu'elles sont beaucoup plus riches sur le plan nutritif.
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Les semences paysannes sont aussi mieux adaptées au changement climatique. C'est le résultat de l'évolution, de la richesse génétique de ces variétés-là. « S’il y a eu des périodes de sécheresse, ou des périodes d'inondations, la semence paysanne aura enregistré les paramètres pour résister à un tel changement climatique. Alors qu’avec les semences industrielles, dès qu'il y a un changement de condition par rapport à ce qui a été prévu, la récolte, c'est zéro ! C'est un grand désastre », assure Famara Diedhiou, de l'Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique.
En Afrique, les semences paysannes résistent. Mais l’uniformisation de l’agriculture entraine une perte de diversité génétique dont s'est notamment alarmé la FAO, l'organisation des Nations-Unies pour l'agriculture et l'alimentation. Sur quelque 6 000 plantes historiquement cultivées sur la planète, moins de 200 servent aujourd'hui à nourrir l'humanité. Même en agriculture, la biodiversité est menacée.