Les Églises évangéliques de Côte d’Ivoire ont un recours accru aux réseaux sociaux. Chaînes WhatsApp, vidéos TikTok, captations de prêches diffusés sur YouTube, ou encore live sur Facebook ; depuis la pandémie de Covid, les pasteurs usent de tous les outils pour lever des fonds et toucher une plus large audience.
De notre correspondant à Abidjan,
4h45 du matin à Abidjan… comme presque chaque matin depuis six ans, le pasteur Martial Aké M'bo réveille ses ouailles sur Facebook pour L’heure des vainqueurs depuis sa villa du quartier aisé de Riviéra Palmeraie.
Assis à sa table à manger, entouré de ses proches, de deux tablettes et d’au moins deux smartphones, le leader religieux prêche plusieurs centaines de fidèles de Côte d’Ivoire et d’une quinzaine de pays du monde entier. Au programme, louanges, prières, chants… Le pasteur et son équipe de prières tapent des mains pour souhaiter guérison, mais aussi réussite financière pendant soixante-quinze minutes de live, entrecoupées des réactions des personnes connectées.
Appels aux dons
À cinq minutes de la fin du programme, Martial Aké M'bo sollicite les offrandes de ces dernières, pour soutenir la mission de l’Église – des dons envoyés via les applications de transfert monétaire, comme Wave, Orange Money ou MoMo. Une paille pour ce pasteur : « Sur les 800 à 1 000 personnes connectées, il n’y en a peut-être qu’une vingtaine qui me donne quelque chose ; sur un mois, ça ne représente que 1 000 euros par mois », assure celui qui arbore une montre U-Boat Chimera au poignet et possède deux SUV, un BMW X-3 et un Range Rover, dans son garage. Le plus important serait, à l’en croire, l’audience.
Pendant son direct, Martial Aké M'bo multiplie ainsi les appels au partage, une manière d’engager d’autres personnes, mais aussi de faire croître son Église. « En partageant, les gens voient forcément des parents, des amis, donc quand j’ai commencé à organiser des programmes à Paris ou à Denver par exemple, ça a été très facile, estime l’homme de Dieu. Dès que je lance sur ma plateforme qu’il y a prière tel jour, à tel endroit, il n’y a plus de place. »
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Influenceurs et bâtisseurs d’Églises
Des suiveurs, le chef de l’Église Mission Chrétienne Réconciliation en compte actuellement 120 000 sur Facebook uniquement. Martial Aké M'bo est plutôt un « poids moyen », du moins en comparaison avec Camille « Général » Makosso, l’un des influenceurs évangéliques les plus connus d’Afrique francophone. Ce dernier compte 5 millions de suiveurs en cumulé sur toutes ses plateformes (Facebook, Instagram, Tiktok) en janvier 2025.
Une audience qui peut s’avérer lucrative – dans l’émission Peopl’Emik sur la chaîne publique La 3, le révérend Makosso a assuré avoir reçu une « dîme » de 140 millions de francs CFA (213 000 euros) de la part d’un footballeur professionnel. Une richesse parfois exhibée, comme lors d’une croisière d’Italie jusqu’à Malte, lors de laquelle Camille Makosso dit suivre une semaine de jeûne à bord d’un paquebot de luxe.
Derrière le « bling-bling », Camille Makosso et d’autres influenceurs évangéliques, tels que Gédéon de la Tchetchouvah, ont littéralement pu bâtir leurs lieux de cultes, selon Sosthène Touré, sociologue spécialiste des religions à l’université de Bouaké. « C’est grâce à leur influence que ces religieux-là ont pu lever des fonds et avoir des personnes mécènes qui ont pu venir en aide à la construction de ces édifices », analyse-t-il. Contacté par RFI, Camille Makosso, actuellement en déplacement, n’a pas commenté dans l’immédiat.
De YouTube aux méga-rassemblements
Autre manifestation dans l’économie réelle : fin décembre 2024, deux religieux très connus des réseaux ont joint leurs forces à Abidjan, le pasteur Mohammed Sanogo et sa puissante Église Vases d’Honneur, d’un côté, et le youtubeur et podcasteur évangélique burundais Chris Ndikumana, de l’autre. Le premier a en partie facilité la venue du second à Abidjan, en compagnie de deux autres pasteurs influents, le Français Jérémy Sourdril et le Canadien Frank Poulin, deux têtes d’affiche de la chaîne de télévision chrétienne francophone EMCI TV.
Le résultat : la « croisade Kanguka », un méga-rassemblement de 300 000 personnes à Songon, dans l’ouest de la capitale économique ivoirienne, selon les estimations des organisateurs. Le tout sans campagne de publicité, mais avec la promesse de « miracles » et de « guérisons ». Selon Sosthène Touré, l’objectif poursuivi par les deux hommes était de partager leur visibilité et de renforcer mutuellement leur influence internationale.
Un coup qui a un coût : sur la base de devis obtenus par RFI auprès de sociétés d’évènementiel, la seule location des équipements pourrait avoir coûté au moins 100 millions de francs CFA (150 000 euros). Contacté par RFI, l’un des prestataires de l’évènement dit avoir offert « une remise » compte tenu du caractère religieux du rassemblement, sans confirmer les montants réels engagés. D’après Chris Ndikumana, ce sont les offrandes des croyants qui ont permis cette organisation, aucun appel aux dons n’ayant été lancé durant l’évènement.
L’influenceur burundais avait déjà rassemblé des dizaines de milliers de personnes auparavant au stade de l’Amitié de Libreville en juillet 2024 et au stade de Japoma à Douala en novembre 2023, ce qui avait paralysé la circulation dans une partie de la seconde ville du Cameroun.
Transparence
Reste que les ressources des Églises évangéliques demeurent un tabou, tout comme leur poids réel dans l’économie ivoirienne. Certaines sont pourtant de véritables entreprises, à l’image de Vases d’Honneur, ou de l’Église Protestante Baptiste Œuvres et Mission Internationale, du pasteur Robert Dion. Ce dernier dit employer un peu plus de 800 personnes – la grande majorité des pasteurs rémunérés 200 000 francs CFA par mois, en plus d’avantages –, et posséderait des écoles de formation, un centre médical, ainsi qu’une radio et une télévision. Un « modèle classique », selon ses mots, mais qui demande « une bonne gestion administrative et financière » et plus de transparence dans l’usage des dons. « Beaucoup de jeunes Églises fonctionnent avec les réseaux sociaux, ça fait de la publicité, c’est à la mode, considère ce chef religieux actif depuis 1975. C’est plus facile pour attirer les gens et les inciter à donner. Souvent [sur les réseaux sociaux], on met en avant que tu vas guérir, que tu vas voyager… et dans l’euphorie, les gens donnent. Moi, à mon humble avis, je peux appeler ça de l’escroquerie ».
Ces derniers mois, plusieurs signes indiquent que les autorités ivoiriennes entendent renforcer le suivi des activités des cultes. Un recensement et une géolocalisation des associations, et notamment des Églises, sont en cours dans plusieurs régions de la Côte d’Ivoire. En 2018, près de 7 500 communautés religieuses ont ainsi été dénombrées rien que dans le district d’Abidjan, dont 4 250 Églises évangéliques.
Par ailleurs, une ordonnance adoptée en juin 2024 impose aux organisations de la société civile, dont les organisations cultuelles, de présenter chaque année un rapport d’activités, de déclarer leurs impôts et d'avoir un compte en banque dans un établissement financier ivoirien, entre autres. Le même texte prévoit en outre l’institution d’un Conseil supérieur consultatif des religions et des convictions. Contactée par RFI, la Direction générale des cultes de Côte d’Ivoire n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.
À écouter dans Religions du mondeAfrique: l’essor fulgurant des églises évangéliques et de réveil