Il y a cinq ans, nous prenions le pouls de la France à l'heure du vote pour la présidentielle. Nous partions à la rencontre de citoyens de tous horizons qui nous confiaient leurs craintes et leurs aspirations. Un mandat plus tard, comment ont-ils évolué ? Quel regard portent-ils sur leur quotidien et leur pays ? Nous les avons retrouvés, avec l'envie de faire à nouveau entendre leur voix et de montrer que la "France d'en bas" sait parler de politique, tout simplement en parlant d'elle-même. Fabrice est sans doute celui qui a le plus cru au changement social que pouvait apporter un quinquennat de gauche. Ouvrier qualifié à la raffinerie Pétroplus de Petit-Couronne, en Normandie, il espérait en 2012 que le site, menacé de fermeture, soit sauvé. Cinq ans plus tard, son bilan est sans appel. "François Hollande nous avait promis que s’il était élu président, il sauverait le site. Il ne l’a pas fait. Il faut une volonté politique, en tant que président, de vouloir sauver son industrie. On ne peut pas vivre en France que du tourisme !", s’indigne-t-il. Pour lui, c’est la douche froide. Comme ses 450 collègues, il a perdu son emploi en 2013 et le voici chômeur de longue durée. Il est arrivé en fin de droits et s’en sort grâce à quelques missions d’intérim. Autour de Fabrice, un nombre croissant d’ouvriers, désillusionnés, s’apprêtent à voter pour le Front national.
En Dordogne, Ahdijah exprime elle aussi son mécontentement. Directrice d’un centre communal d’action sociale, elle a vu la pauvreté augmenter dans sa petite commune. L’aide alimentaire d’urgence a quintuplé. "Ces deux dernières années, la précarité s’est beaucoup aggravée et, avec elle, la désespérance." Un bilan qu'Ahdijah juge indigne d’un gouvernement de gauche.
Pour Lionel, le notaire, c’est la dette de l’État qui est inquiétante… Il estime que le gouvernement n’a pas su freiner les dépenses publiques et, à l’aune de la crise qu’a connu la Grèce, il juge la situation alarmante. La campagne électorale l’a également laissé sur sa faim. "Le débat a été confisqué par un feuilleton judiciaire qui nous éloigne complétement des sujets essentiels sur lesquels on espérait entendre les candidats", confie Lionel.
Des affaires qui auront une incidence sur le vote de Pascal, éleveur en Bretagne. Traditionnellement conservateur, il envisage de se détourner de son camp et de porter son choix sur le candidat centriste, Emmanuel Macron.
À Saint-Etienne, Stéphane, désormais interne en médecine, est plutôt déçu, lui aussi. Nous le retrouvons dans la maison de santé où il travaille. Il nous explique que le gouvernement ne s’est pas donné les moyens de défendre le système de santé, pourtant priorité affichée du quinquennat. Stéphane a suivi les grèves de ses collègues des hôpitaux et se dit favorable à des économies. Il propose donc que certaines tâches soient confiées à des infirmiers pour diminuer le coût des remboursements. Son objectif : que chacun continue à bénéficier de soins. Et à l’heure de se rendre aux urnes, il a bien du mal à trancher. "J’ai du mal à faire le choix en fonction du programme, parce que j’ai du mal à voir un programme clair de la part des candidats", nous dit-il.
Après un quinquennat dont le bilan est très critiqué, cette campagne marquée par de nombreux rebondissements, scandales et surprises, aura laissé de nombreux électeurs sur leur faim. À quelques jours du premier tour, comme Stéphane, Pascal et Ahdijah, un nombre record de Français, désillusionnés, sont indécis. Un électeur sur trois environ (38 % selon BVA, 31 % selon l'Ifop) n'aurait pas encore fait son choix parmi les candidats, soit trois fois plus qu’en 2012. Ce sont eux, désormais, qui détiennent la clé du scrutin.