Chemins d'écriture

La disparition, racontée par le primo-romancier Ramsès Kéfi


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Ramsès Kéfi est l’auteur de Quatre jours sans ma mère, un premier roman prometteur. L’homme est journaliste à Libération et ses modèles ont pour noms Agatha Christie, Faïza Guène et Romain Gary.

Écrivain bourré de talents, journaliste à Libération, le Franco-Tunisien Ramsès Kéfi livre avec Quatre jours sans ma mère un premier roman prometteur, à la fois grave et ludique, inventif et truculent, comme en témoigne l’extrait :

« Ma mère avait eu du mal fou à m’avoir. (…) Le jour de ma naissance, Amani a tout chamboulé. Mes parents s’étaient mis d’accord pour m’appeler Sami, mais la Mama a improvisé. Salmane lui était apparu en rêve avant l’accouchement. Ce vieux Nord-Africain a l’épiderme criblé de trous fut leur voisin durant le temps qu’ils ont passé à Marseille. Avec sa jambe de bois et sa tortue, il traînait dans la rue où il enchaînait fous rires et thés rouges – il gardait un verre dans la poche de son veston. Et voilà : il avait suffi qu’il revienne dans les rêves de ma mère pour que j’hérite de son prénom. (…)  À sa sortie de la maternité, Amani a remonté la trace du vieux Salmane grâce à une ex-voisine retrouvée dans l’annuaire. Elle l’a appelé pour lui annoncer la nouvelle. Il a explosé de rire… il a dû raccrocher tellement, il riait. Et il m’a rappelé tout de suite. Salmane n’était pas son prénom. C’était celui de sa tortue. »

Ironie, inventivité et distanciation

« Je suis venu à l’écriture un peu par hasard », aime à répéter le jeune Ramsès Kéfi. Né de parents ouvriers, il a grandi dans la banlieue parisienne et s’est retrouvé sans projet professionnel particulier après une maîtrise en histoire ancienne. A l’époque, il gagnait sa vie en travaillant comme manager dans un McDo et passait son temps libre à lire : Agatha Christie, Faïza Guène et les médias locaux dont Rue 89 et le Bondy Blog. Il s’est découvert écrivain lorsque le Bondy Blog a publié un texte de lui sur la jeunesse et le café en Tunisie, rédigé en l’espace d’une nuit d’insomnie, sur un coup de tête.

C’était en 2011. En ces temps prometteurs d’avant printemps arabe, le texte du jeune Kéfi, racontant la vie quotidienne dans une Tunisie en pleine ébullition, a fait sensation dans la rédaction du groupe qui a rappelé l’auteur pour faire un stage. Et de fil en aiguille, ce dernier s’est retrouvé au service Société de Libération pour lequel il fait des reportages dans la France profonde. En 2022, il publie son premier livre réunissant ses chroniques sur les rixes adolescentes qu’il avait racontées dans les pages de Libé. Quatre jours sans ma mère est son premier roman.

C’est un premier roman sur la vie en banlieue, sans pathos ni revendication particulière. En refermant le livre de 200 pages, le lecteur garde en tête l’écriture, l’ironie, l’inventivité, le goût pour la distanciation, qui transforment les récits de vie en un vaste champ d’exploration de la psychologie et de l’infinie résistance de l’esprit à la routine débilitante du quotidien.

Voici l’intrigue du roman racontée par l’auteur en personne. « Il y a cette famille qui est composée d’Eddie et Amani, un couple de retraités ouvriers. Et avec eux vit encore Salmane, le fils qui a 36 ans et qui vit sa vie de Tanguy. En fait, il est tranquille, se dit que ce sera toujours comme ça. En fait, il y a un truc un peu figé et sauf qu'un jour, un lundi, la maman décide de s'en aller. Et donc à ce moment-là, les deux hommes de sa vie, Eddie, le père et le fils, ben pour eux, tout se brise parce qu’ils se rendent compte que sans Amani, la femme de leur vie en fait, il n'y a plus rien qui fonctionne. Et chacun part dans son enquête, en se disant "on va la chercher, on va essayer de retrouver". C'est une histoire d'amour, d'amitié, de tendresse, de famille, qui n'est pas une histoire de quartier. C'est une histoire universelle qui se passe dans un quartier, où, je pense, tout le monde peut se retrouver puisque c'est une histoire de famille avant tout, avec un secret au milieu. Et l'enjeu, c'est de savoir où est partie la mère, mais surtout pourquoi elle est partie. »

Fresque sociale et intimiste

Si la disparition de la mère est au centre de l’intrigue de ce roman et dont les causes profondes s’éclaircissent au fur et à mesure qu’on tourne les pages, elles ne sont pas les seuls enjeux de ce récit pluridimensionnel. Quatre jours est aussi un roman d’éducation avec pour final l’entrée tardive dans la vie adulte de Salmane, le fils unique du couple, que le séisme familial fait sortir de son cocon. Ce roman se veut aussi une fresque sociale, avec sa foultitude de personnages qui évoluent dans le quartier de la Caverne où se déroule l’action du roman. Pour eux aussi, la disparition d’Amani est un tournant, un moment fatidique qui leur révèle leurs propres limites.

La caverne n’est pas seulement un quartier, mais un village, comme l'affirme l’auteur. « Le vrai nom du quartier, c'est la caverne des oiseaux et tout le monde appelle ça la caverne à cause des tags justement. Un peu le délire que se sont fait des dessinateurs du quartier, qui ont décoré les murs de cette cité HLM. Mais oui, c'est complètement un prétexte pour raconter ces endroits où la routine a établi un royaume, clairement. Et donc ça raconte un mode de vie, ça raconte des histoires d'amitié, ça raconte une fin, le temps qui passe différemment. On a l'impression d'être dans un village où on a l'impression que rien ne va bouger. On vit à son rythme. La caverne en soi, c'est un personnage. Le quartier est un personnage. »

Dans cette allégorie de la Caverne, nous sommes un peu chez Platon. Il y a aussi du drame situationnel à la Beckett, l’Irlandais qui a fait de l’insolite le ressort de l’action dans ses récits, et last but not least, il y a du Sartre dans le souci de Ramsès Kéfi de donner à entendre les bruits et fureurs de l’existence, bannissant toute tentation d’essentialisation.

 Quatre jours sans ma mère, par Ramsès Kéfi. Editions Philippe Rey. 208 pages, 20 euros.

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