C’est un dessin publié par le Times à Londres : on y voit Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe brandissant une hache ensanglantée et demandant à Marco Rubio, son homologue américain, assis en face de lui : « quel morceau de l’Ukraine voulez-vous ? »
La rencontre entre les deux ministres des Affaires étrangères, américain et russe, hier à Ryad en Arabie saoudite et les propos tenus au même moment par Donald Trump sont à la fois, surréalistes, inédits et historiques…
« Le revirement de Trump vers la Russie de Poutine bouleverse des décennies de politique étrangère américaine », s’exclame le New York Times. En effet, précise-t-il, « alors que les pourparlers de paix s’ouvraient en Arabie saoudite hier, le président Trump a clairement indiqué que l’époque de l’isolement de la Russie était révolue et a suggéré que l’Ukraine était responsable de son invasion. D’après lui, les dirigeants ukrainiens sont responsables de la guerre parce qu’ils n’ont pas accepté de céder des territoires à la Russie, et, par conséquent, ils ne méritent pas de participer aux pourparlers de paix. “Vous n’auriez jamais dû commencer, vous auriez pu conclure un accord“, a déclaré Trump, en direction des dirigeants ukrainiens qui, de fait, souligne le New York Times, n’ont pas commencé ».
Bref, remarque encore le quotidien américain, « Trump a en quelque sorte a fait savoir qu’il était prêt à abandonner les alliés de l’Amérique pour faire cause commune avec le président russe Vladimir Poutine. Il semble désormais considérer la Russie comme un partenaire potentiel et en faire l’un des meilleurs amis de l’Amérique ».
Accusé de crimes de guerre et maintenant artisan de la paix…
Le Wall Street Journal, plutôt clément envers Trump, n’en revient pas non plus… « En l’espace d’un mois, le guerrier russe est devenu un prétendu artisan de la paix, aux yeux de Trump. (…) Une soudaine réhabilitation difficile à concevoir ».
Et le Wall Street Journal de rappeler « qu’il y a trois ans, le seigneur du Kremlin a déclenché la plus grande guerre terrestre en Europe depuis Hitler, et son “opération militaire spéciale“ a entrainé la mort de centaines de milliers de Russes et d’Ukrainiens. Ses missiles ont visé des immeubles d’habitation, des gares et des centrales électriques. Ses troupes ont enlevé des centaines d’enfants ukrainiens à leurs parents pour les emmener dans de nouveaux foyers en Russie. Elles ont torturé et exécuté des soldats ukrainiens, en violation de toutes les règles internationales. (…) Poutine a été accusé de crimes de guerre par un tribunal international et les États-Unis ont sanctionné son ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, en 2022, comme l’un des “architectes de la guerre de la Russie contre l’Ukraine“ ».
Et pourtant, pointe le Wall Street Journal, « Sergueï Lavrov était assis hier à la même table que Marco Rubio ».
Pourquoi ?
Comment expliquer ce revirement spectaculaire ? D’après Le Figaro à Paris, « pour Donald Trump, l’Ukraine est une nuisance qui a coûté trop cher aux États-Unis et qui interfère dans les relations d’intérêts “ normales“ entre grandes puissances. Cela explique que la présence de tiers l’encombre et qu’il ait abattu ses cartes avant même de négocier : il veut la paix au sens qu’on lui fiche la paix, et il est pressé. Poutine, lui, poursuit Le Figaro, s’inscrit dans le temps long de l’histoire russe : il voit l’occasion de reprendre sa juste place internationale, d’alléger les sanctions et de poursuivre le découpage du monde en rééquilibrant le poids de l’Ouest ».
Dégâts…
Alors, enchaîne Le Monde, « difficile de présager de la suite des négociations, mais à ce stade, la victoire est déjà claire pour Moscou. La Russie est réhabilitée par ce révisionnisme américain que désapprouvent de nombreux élus au Congrès ».
Le Monde qui souligne qu’il s’agit là d’une belle revanche pour les Russes : « pour Moscou, une phrase prononcée par Barack Obama en 2014 est demeurée impardonnable. Ce dernier avait qualifié la Russie de “puissance régionale qui menace certains de ses voisins immédiats, non par force mais par faiblesse“. Ce que Donald Trump propose aujourd’hui, c’est une reconnaissance de la zone d’influence russe et une réparation historique de ce camouflet, comme si les crimes de guerre massifs commis par l’agresseur depuis 2022 étaient de simples circonstances périphériques ».
Et Le Temps à Genève de conclure ainsi : « les États-Unis ont acté la fin de l’ordre international qu’ils ont porté à bout de bras. Un revirement dont on peine à mesurer encore les dégâts qu’il va occasionner parmi ceux qui se pensaient encore alliés de l’Amérique ».