En Centrafrique, la candidature éventuelle du président Touadéra à l'élection de décembre prochain fait polémique. D'un côté, ses partisans lui demandent d'y aller. De l'autre côté, l'opposition, qui a marché pacifiquement dans les rues de Bangui le 4 avril, dénonce la « future présidence à vie d'un Bokassa sans empire ». Mais plusieurs opposants sont prêts à aller à cette présidentielle si le pouvoir accepte d'ouvrir un dialogue politique. Martin Ziguélé a été Premier ministre de 2001 à 2003. Aujourd'hui, il est député du parti d'opposition MLPC. De passage à Paris, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Depuis la nouvelle Constitution du 30 août 2023, Faustin-Archange Touadéra, le président, est autorisé à se présenter pour un troisième mandat. Et le 28 décembre dernier, lors de son discours sur l'état de la nation, il a dit « J'exhorte les opposants à faire preuve de maturité politique », sous-entendu à ne pas boycotter le scrutin présidentiel. Qu'est-ce que vous ferez ?
Martin Ziguélé : Je pense qu'il faut d'abord rappeler que le président Touadéra a prêté serment en mars 2016 sur une Constitution qui limite le nombre de mandats à deux et la durée à cinq ans. Et les dispositions de la Constitution n'étaient pas du tout changeables, parce que tout tire sa source juridiquement de la Constitution du 30 mars 2016. Donc, pour nous, il n'y a pas de débat sur cette question. Le président Faustin-Archange Touadéra doit respecter son serment. Il est à la dernière année de son deuxième et dernier mandat. Il n'y a pas de troisième mandat qui tienne.
Mais il y a eu un référendum constitutionnel, c'était en juillet 2023, qui a dit oui à une nouvelle Constitution qui a été adoptée le 30 août 2023…
Oui, mais justement ce référendum a été fait en violation de la décision de la Cour constitutionnelle qui a dit qu'on ne peut pas engager une procédure politique pour changer la Constitution du 30 mars 2016. Pour nous, c'est une escroquerie politique. C'est un coup d'Etat constitutionnel. C'est la même chose qu'un coup d'État militaire au Niger, au Mali, au Burkina ou ailleurs.
Est-ce à dire que, quoi qu'il arrive, vous allez boycotter la présidentielle à venir ?
Je n'ai pas dit ça. J'ai dit que nous demandons un dialogue politique pour nous asseoir avec Monsieur Faustin-Archange Touadéra, que ça soit lui, que ça soit le rôle de Wagner, qu'il ne faut pas sous-estimer, toute cette catégorie de personnes intéressées manipule la vie politique en Centrafrique pour nous redonner un Bokassa sans empire. Une présidence à vie en fait. Et ça, nous n'en voulons pas.
Mais si le préalable à tout dialogue politique, c'est pour vous l'interdiction pour Faustin-Archange Touadéra de se représenter, il ne va jamais accepter ce dialogue, non ?
Nous voulons dialoguer sans préalable sur le plan politique. Nous voulons que les élections soient inclusives. C'est quand même le minimum.
En fait, ce que vous proposez au président Touadéra, c'est un deal : « D'un côté, on accepte que vous vous présentiez pour un troisième mandat, mais de l'autre, vous enlevez les dispositions de la nouvelle Constitution qui interdisent aux binationaux d'être candidats » ?
Ce dont je suis sûr, c'est que l'opposition démocratique demande un dialogue politique. Ce qui sortira de ce dialogue, je ne peux pas le prévoir d'avance, mais ce sera certainement un compromis pour nous permettre d'avancer vers des élections inclusives et surtout transparentes.
Aux termes de l'article 67 de la Constitution du 30 août 2023, tout candidat à la présidentielle doit être centrafricain d'origine et n'avoir que la seule nationalité centrafricaine. Alors vous, vous n'êtes pas binational, vous n'avez que la nationalité centrafricaine, donc a priori vous êtes tout à fait éligible si vous décidez de ne pas boycotter la présidentielle à venir…
Absolument. Je suis éligible parce que mes deux parents ont leur état-civil centrafricain.
Mais ne pourraient pas se présenter à la prochaine élection présidentielle les binationaux comme Anicet-Georges Dologuélé, Crépin Mboli-Goumba, Dominique Yandocka... Est-ce que finalement cette nouvelle Constitution, elle ne fait pas votre affaire puisqu'elle élimine plusieurs des autres candidats de l’opposition ?
Mais par principe, le progressiste que je suis ne peut pas accepter qu'on catégorise les Centrafricains par le fait que, dans leur vie ultérieure, après leur naissance, ils aient pris une deuxième ou une troisième nationalité au gré de la vie. Quel est le sens profond d'une telle démarche si ce n'est pas l'exclusion, tout simplement, et un calcul politique pour écarter les uns et les autres ? C'est pour ça que nous ne pouvons pas accepter cette Constitution et cette disposition de la Constitution. C'est pour ça que nous demandons le dialogue politique, parce que les personnes que vous citez, certaines d'entre elles ont été candidates déjà à plusieurs élections, donc elles auraient pu être président de la République.
Anicet-Georges Dologuélé a été candidat en 2015, il est passé à deux doigts d'être président de la République. Et est-ce qu’on peut dire à quelqu'un qui a participé à des élections, qui a été même en tête des élections, est-ce qu’on peut lui dire cinq ans après que « vous, vous n'avez plus le droit d'aller aux élections, parce qu’entre temps, nous avons pensé qu’il faut mettre en place une Constitution qui est comme un champignon qui pousse en plein été, on dit, bon, maintenant ceux-là ne peuvent plus postuler ».
Je vous rappelle que cela a été tenté en 2005 et il a fallu la sagesse du président Bongo pour que tout le monde revienne dans la course. Et cela a été encore retenté en 2011. Et il a fallu la sagesse du président Sassou Nguesso pour que tout le monde revienne dans la course. Et maintenant Touadéra retente ça en 2025 et nous voulons un dialogue politique centrafricain pour régler cette question-là. Il n'est pas question qu'il y ait des élections en Centrafrique en excluant les fils de ce pays sous des prétextes fallacieux.
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