Questions d'environnement

France: à quoi sert le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) ?


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Trois lettres sèment la discorde dans les campagnes françaises : ZAN pour « Zéro Artificialisation Nette ». Un objectif fixé par l’État pour 2050 afin de stopper la destruction de la biodiversité liée à l’étalement des villes et villages. Mais cette politique rencontre l’opposition d’une partie des élus locaux qui doivent l’appliquer et la droite veut continuer à la détricoter avec une proposition de loi attendue au Sénat le 12 mars prochain. 

Un sol est artificialisé quand l’occupation ou l’usage qu’en fait l’être humain altère durablement ses fonctions écologiques (ses fonctions hydriques, climatiques, agronomiques notamment).

L’artificialisation totale, c’est la ville. On a imperméabilisé la terre en la recouvrant de béton ou de bitume pour y construire des immeubles, des routes. Un champ agricole est aussi une zone artificialisée – moins, mais tout de même – parce qu’on y utilise des produits chimiques, qu’on laboure, qu’on laisse la terre à nu. Enfin, une artificialisation moins intense, ce sont nos jardins. Même s’ils hébergent des animaux et des plantes, la végétation ne s’y développe pas librement puisqu’on coupe l’herbe, on retire le bois mort, etc. 

Pourquoi est-ce un problème d’artificialiser les sols ?  

Le problème est que notre consommation de sols naturels, agricoles et forestiers est trop gourmande. Chaque année en France, on prend environ 20 000 hectares à la nature. 

C’est d’abord néfaste pour la biodiversité. En construisant des routes, des villes ou des centres commerciaux, on détruit des espèces – on coupe des arbres, on tue la vie dans les sols, on assèche des zones humides – et on fragmente le terrain de jeu des animaux, ce qui participe à leur disparition. 

En urbanisant, on réduit aussi la capacité des terres agricoles à nous nourrir, indique le portail du gouvernement français sur l’artificialisation des sols. Et puis en étalant nos villes, on augmente les distances parcourues en voiture – cela contribue au changement climatique – et on réduit la capacité des sols à absorber l’eau, ce qui favorise les inondations. 

Réutiliser des terres déjà artificialisées 

L’idée du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) d’ici 2050 est donc d’être plus sobre. Il s’agit de pousser les communes à réutiliser des espaces déjà artificialisés : réutiliser les friches industrielles, récupérer les logements vacants, densifier l’habitat, et restaurer de la nature quand on en a détruit à côté. « Pour stopper l’effondrement de la biodiversité, il faut qu’on apprenne à lui faire de la place », affirme Brian Padilla, écologue au Muséum national d’Histoire naturelle et spécialiste de l’artificialisation des sols. Au fond, c'est partager l’espace avec le reste du monde vivant.

La loi climat et résilience de 2021 qui instaure le ZAN prévoit une étape intermédiaire : moins 50 % d’artificialisation d’ici 2031. Mais certains élus locaux grincent des dents, car cela questionne le modèle d’aménagement actuel.

Jusqu’à maintenant, les règles d’urbanisme pour éviter l’étalement des villes n’exigeaient des élus que des obligations de moyens, désormais « il y a une obligation de résultats et des sanctions », indique Maylis Desrousseaux, maîtresse de conférences à l'École d’urbanisme de Paris et spécialisée dans les domaines du droit de l'environnement et de l'urbanisme. « Jusqu’à présent les études d’impact environnemental contenaient très peu de données qualitatives sur les sols, poursuit-elle, on se contentait d’expliquer qu’une Zone d’Aménagement Concerté allait utiliser tant d’hectares, on ne se rendait pas compte de l’impact du projet sur les fonctionnalités et la santé des sols. Le ZAN est donc fondamental pour amorcer une politique publique plus générale sur la dégradation des sols ».

Effet de surprise, droit de propriété et maintien des écoles

Les maires qui critiquent le ZAN considèrent que le délai de dix ans pour atteindre la première étape d’une réduction de 50 % de l’artificialisation est trop court.  

Même si la France est plutôt pionnière en Europe avec l’application du Zéro Artificialisation Nette, cette politique découle « d’une feuille de route de l’Union européenne de 2011 qui poussait déjà les États membres à se mettre sur une trajectoire de ‘zero land take’ ou zéro changement d’usage des sols », rappelle Maylis Desrousseaux. Le changement d’usage des sols, c'est lorsque l’on prend des sols naturels, agricoles ou forestiers pour les urbaniser ou y installer des infrastructures ou des jardins. 

À lire aussiFrance: la justice administrative annule l'arrêté préfectoral autorisant le chantier de l’autoroute A69

Comme c’est souvent le cas lorsque des règles s’occupent de protéger les sols, certains élus locaux dénoncent une atteinte au droit de propriété. « En réalité, les limitations au droit de propriété pour préserver la biodiversité ou l’eau existent depuis de très nombreuses années, pour l’eau, c'est depuis le Code Civil de 1804 », précise la juriste. 

Les détracteurs du ZAN lui reprochent aussi de venir d’en haut, de l’État, de l’Europe, dans un contexte de conflits entre les collectivités territoriales et l’échelon central.

Face à l’argument de certains édiles qui accusent le ZAN de les bloquer pour construire des logements et ainsi maintenir les classes dans les écoles de leurs villages, l'écologue Brian Padilla relativise et indique que 25% de la consommation de terres naturelles, agricoles ou forestières se fait dans des communes qui perdent tout de même des habitants.  

Si on vend les aménagements construits, les enfants ne sont à l’école du village « que pendant dix ans », acquiesce Maylis Desrousseaux. « Par exemple dans les bourgs ruraux, une étude récente a montré que les politiques de logement sont orientées vers les jeunes, mais ceux qui occupent les nouveaux logements sont des seniors qui viennent s’installer pour leur retraite », ajoute Pierre Chassé, politiste à l’université Aix-Marseille et spécialiste des politiques publiques de conservation de la biodiversité.

Instrumentalisation politique

Il y a un défi réel d’accompagnement des collectivités pour trouver les bonnes solutions pour mettre en œuvre le ZAN sur leur territoire, mais ces critiques ont été montées en épingle par certains partis politiques comme la droite LR qui tente, avec son opposition au ZAN, de conserver un électorat rural qui lui glisse entre les doigts. 

Sous la pression de la droite notamment, une loi de simplification est déjà venue assouplir le ZAN en 2023 avec un hectare de consommation garanti pour chaque commune sur la décennie 2021-2031. Il y a aussi une exception pour une liste de projets dits d’envergure nationale ou européenne, comme des autoroutes ou des lignes de chemin de fer. 

La proposition de loi actuellement portée par la majorité centristes-LR au Sénat, qui doit être examinée le 12 mars prochain, va encore plus loin et constitue une vraie régression, s'inquiète l’écologue Brian Padilla. « Elle supprime la définition de l’artificialisation donc on ne parlerait plus d’altération des fonctions écologiques des sols, elle supprime l’objectif intermédiaire de 2031 alors qu’il y a déjà plein de collectivités territoriales qui travaillent à l’intégrer dans leurs documents d’urbanisme et elle prévoit par exemple que les grands projets d’aménagement ne soient plus du tout comptés dans l’artificialisation donc que l’Etat se soustrait à l’effort de sobriété »

À l’inverse, à différents endroits en France, des citoyens s’emparent de l’appel des scientifiques à préserver la qualité des sols et s’organisent pour bloquer de grands projets d’artificialisation. Le plus emblématique : la construction de l’autoroute A69, dans le sud-ouest du pays.

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