100 % création

Guillaume Bardet et le mobilier liturgique de Notre-Dame de Paris [7/9]


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100% création vous propose de partir à la rencontre des compagnons, artisans d'art ou designers qui ont travaillé sur le chantier de Notre-Dame de Paris. Aujourd'hui : Guillaume Bardet, designer du mobilier liturgique de la cathédrale. Sa récente commande pour le mobilier liturgique de la cathédrale Notre-Dame de Paris témoigne de son engagement à allier savoir-faire artisanal et respect de l'histoire.  

« Dès le départ, quand nous commençons ce genre d'étude, nous sommes là pour créer, donc nous avons envie de créer nous-même » : Guillaume Bardet, designer et sculpteur, se confie à RFI.

« J'ai l'impression que je n'ai pas grand-chose d'autre. Je ne fais que cela. Je n'ai pas le sentiment de travailler, mais je travaille tout le temps. Je suis toujours en train de dessiner quelque chose, de penser à un projet, de rêver un projet. Il y a beaucoup de plaisir là-dedans. C'est vraiment des moments de plaisir, des moments de dessin. Je passe beaucoup de temps dans mon atelier. C'est l'endroit où je suis le plus heureux. J'ai mon petit monde à moi. Cela peut être le bazar partout. Moi, je suis dans mon atelier, je suis très tranquille. »

Né à Rouen, Guillaume Bardet a grandi dans un environnement propice à la créativité, encouragé par une mère artiste. À 15 ans, lorsqu'il arrive à Paris, sa passion pour la sculpture prend un tournant décisif. Son parcours académique aux Arts Décoratifs lui permet de toucher à de nombreuses disciplines, mais c'est dans le design mobilier qu'il se spécialise, tout en cultivant son intérêt pour la sculpture. Pendant son séjour à la Villa Médicis, il explore des thèmes profonds liés à la pérennité et à l'ancrage :

« J'arrive à Rome, à la Villa Médicis. Je vois cet endroit et je me dis : "Mais c'est magique ! Moi, c'est simple, si je pouvais venir ici, je travaillerais sur le temps qui passe, sur la pérennité, sur la pierre." Je vais concourir et j'écris un texte qui s'appelle "Le mobilier immobile", où je propose des pièces totémiques en pierre, entre la sculpture et le design. Nous étions en pleine période de ce qui s'appelait le mobilier nomade. Nous circulions à travers le monde et le mobilier était nomade. Tous les objets avaient des roulettes et je trouvais cela ridicule, parce que ce n'est pas parce que nous mettons des roulettes que c'est nomade. Mon idée était de dire "plus, nous allons être nomades, plus nous allons bouger, plus nous aurons besoin au contraire de repères très forts". Les repères, cela va être nos maisons de famille, des endroits où nous revenons et où nous avons des souvenirs, des choses qui sont là. Moi, je vais faire des objets totémiques, qui ne pourront pas être enlevés, des endroits où s'asseoir, où manger, où discuter à deux ou, au contraire, pour être seul, qui seront mis dans des jardins. Et puis, peut-être à un moment, nous n'allons plus les aimer, mais comme ils sont très lourds, nous ne pourrons pas les enlever et nos enfants vont, eux, grandir avec et vont les aimer. C'est comme cela que ces pièces vont rester. Elles vont raconter et vont porter de l'histoire. Plus nous bougeons, plus nous avons besoin d'ancrage. J'ai, donc, écrit ce texte du "Mobilier Immobile" et j'ai été pris à la Villa Médicis. »

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Lorsqu'il est retenu pour la commande du mobilier liturgique pour Notre-Dame de Paris, Guillaume Bardet se retrouve face à un projet monumental. Il est également confronté aux défis et responsabilités liées à la fonctionnalité de ces pièces et leur interaction avec l'espace sacré : « C'était un appel à candidatures pour les cinq éléments principaux du mobilier liturgique, dans l'ordre d'entrée : le baptistère, l'autel qui est dans l'alignement du baptistère, dans l'axe, et puis à droite de l'autel, l'ambon, qui est l'endroit où on lit les textes, à gauche de l'autel, il y a la cathèdre et les fauteuils associés. La cathèdre, c'est le fauteuil de l'archevêque, mais surtout, si la cathèdre est enlevée de la cathédrale, la cathédrale redevient une église. C'est la cathèdre qui fait la cathédrale. Quand l'évêque – mais à Paris, c'est l'archevêque – est assis dessus, c'est directement la présence du Christ dans l'Église. C'est quelque chose de fort. Et puis, tout au fond, il y avait le tabernacle, qui pour moi était très mystérieux comme pièce.

L'acte de candidature, c'est écrire un texte et puis, donner son book au début, c'est cela. Moi, j'écris un texte qui raconte pourquoi j'y vais, pourquoi je me sens naturellement légitime d'y aller. J'ai envie d'y participer. Ce qui aurait été le plus dur, c'est de répondre pour gagner, mais d'avoir une réponse qui ne me convienne pas. Si j'avais gagné avec une réponse qui ne me convenait pas, j'aurais eu ce truc-là en me disant "ce n'est pas moi jusqu'à la fin de ma vie". Finalement, d'un seul coup, j'ai enlevé le sac à dos de pression en me disant, "cela n'a aucune importance, cela va être génial. Je vais m'amuser et je vais faire un projet extraordinaire !" . »

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Avec des matériaux immuables comme le bronze, il crée pour Notre-Dame de Paris des objets, y compris le baptistère qui, jusqu'alors, n'existait pas. Des éléments qui dépasseront le temps, tout en étant ancrés dans l'histoire de la cathédrale :

« J'ai travaillé ces sept pièces comme une famille. Ces pièces devaient parler et se répondent entre elles. Alors très fortement, quand nous parlons du baptistère et de l'autel qui sont alignés : le baptistère, par exemple, n'existait pas avant à Notre-Dame. C'est un choix de l'archevêque de dire "nous allons mettre à l'entrée de Notre-Dame, mais vraiment à l'entrée, dans l'allée centrale". En rentrant à Notre Dame, la première chose que vous allez voir, c'est ce baptistère qui est aligné, et donc en dialogue direct avec l'autel. Mes réponses sont venues souvent de la contrainte. Le baptistère avait comme contrainte de devoir mettre un couvercle. Et finalement, j'ai renversé cette contrainte en faisant du couvercle l'élément central. Mon couvercle est comme une surface d'eau très douce, de petites vagues d'eau en bronze poli miroir. Le bronze poli miroir devient comme de l'or, d'où émerge au milieu de ce couvercle, qui fait quand même un mètre de diamètre, la croix du baptême. »

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Selon Guillaume Bardet, ce chantier est une œuvre collaborative unique :

« Tout est hors norme. Parce que moi, je ne l'ai pas vécu tout le temps. Mais à la Fonderie, qui est donc à 700 kilomètres de Paris, il y a une quarantaine de personnes qui y travaillent. Tout le monde était hyper heureux et hyper fier de travailler sur les pièces de Notre-Dame. Nous avons toutes les religions, nationalités et toutes les non-religions, mais Notre-Dame parle à tout le monde, à toutes les personnes, tous les âges, tous les milieux sociaux. Ils étaient super heureux et super fiers. Ils allaient voir à chaque pause le travail des uns et des autres, quelque chose de très beau. Localement, tout le monde était très intéressé par cette aventure. Il y avait des petits bouts de Notre-Dame dans les régions. Aujourd'hui, dans le monde dans lequel nous sommes, dans notre société, c'est un sujet de concorde. Il n'y a pas eu de débat réel autour de la rénovation de Notre-Dame. Il y avait tellement de savoir-faire, d'amour qui a été mis dedans. De temps en temps, l'humanité fait des choses pas mal. Et là, cela en est une vraie preuve. C'est tellement beau partout ! »

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Guillaume Bardet a travaillé avec des artisans, mais également avec les membres du diocèse, partageant, ainsi, un sens de la communauté qui lie chacun à ce projet hors norme :

« Je sculpte mes pièces moi-même, mais en les sculptant moi-même, ces pièces ont partout ma présence, de mes mains, de mes outils, il n'y a pas un millimètre des pièces qui n'ont pas été maniées par moi. Je les ai emplis d'humanité. Ce sont des pièces à toucher, à caresser parce qu'elles ont une peau. Chaque millimètre de cette peau est unique. J'ai, donc, sculpté toutes ces pièces en juillet, août, septembre, octobre 2023. Je vis dans un village qui s'appelle Dieulefit. Tout le monde est arrivé à Dieulefit, l'archevêque de Paris est venu avec le recteur de Paris. J'avais trois évêques dans mon atelier. C'était important, ils sont venus pour avoir une première rencontre physique avec ce futur mobilier, et non pas une projection sous forme de maquette, pas des images de synthèse. Non, non, une vraie rencontre, et donc, ils sont venus avec des calices, des ciboires (coupes) pour la liturgie, pour tester la bonne hauteur. Ils sont arrivés à la conclusion de me dire "Guillaume, c'est un peu trop haut, il faut le baisser de 5 cm". Moi, là-dessus, tout ce qui est concret, symbolique, je vous écoute. Par contre, si c'est juste, je trouve cela beau ou pas. Le beau, c'est mon travail, c'est moi qui décide. Nous avons toujours eu un dialogue très ouvert. Au contraire, j'avais envie qu'ils m'expliquent à chaque fois. C'était un dialogue très beau, très simple. »        

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