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Helmer Joseph: au-delà d’un style, d’une signature, la quête de la perfection


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Helmer Joseph incarne la passion, la persévérance et le partage dans l’univers de la mode. Son parcours, jalonné de formations, puis de postes au sein des maisons prestigieuses comme Mugler, Dior ou Yves Saint Laurent, témoigne d’un talent exceptionnel. Mais ce qui distingue ce grand couturier haïtien, ce n’est pas seulement sa technique, c’est aussi sa volonté de transmettre, de partager ses connaissances avec la jeunesse haïtienne et africaine.

À travers ses créations, ses enseignements et ses actions, il nous rappelle que la mode n’est pas qu’une simple question de style, mais aussi une histoire de cœur, de savoir-faire et d’héritage. Nous avons rencontré cette figure incontournable de la mode à Lomé, pendant la dernière édition du FIMO 228.

La mode me coûte de l'argent plus qu’elle ne me rapporte de l'argent, parce que dès que j'ai une facture qui rentre, je l'investis tout de suite. Les gens me disent " Mais tu dors quand ? " je dis " je dors, quand je ne travaille pas" parce que je travaille plutôt le soir, entre 8 h à 2 h du matin. Je travaille tous les jours, sept jours par semaine. Je travaille tout le temps. Je travaille tout le temps dans l'atelier, les broderies et la machine, mais sans compter dans ma tête, c'est tout le temps !

Helmer Joseph, couturier et fondateur de la marque Helmer.

« Je n’ai que moi : j'ai Helmer et Joseph, c'est tout. Il y en a un qui dépense et l'autre qui travaille. Ils s’entendent. Quand la banque appelle, on demande Monsieur Joseph. Quand les fournisseurs appellent pour de la marchandise pour venir voir, on demande à Helmer. Quand le comptable appelle, c'est Monsieur Joseph. Mais les deux s'entendent très bien ».

Né dans la petite ville des Gonaïves en Haïti, Helmer Joseph grandit dans une famille nombreuse, entouré de traditions et de valeurs fortes. Très tôt, il se passionne pour la couture : il aide sa mère et fabrique ses tenues dès l’âge de cinq ans. Avec sa famille, il habite près de l’église, un poste d’observation qui lui permet d’examiner les tenues et allures vestimentaires. « Je suis né il y a longtemps, à une époque où les gens allaient encore à l'église et que quand il y avait un décès, la famille allait à l'église pendant un mois, tous les matins, toute la famille. C'était l'époque des mantilles, les gens étaient gantés, avec le grand chapeau. Les mariages étaient devant les l'églises. Je voyais tout ! ».

« Ma mère a eu deux filles après moi et j'avais sept ans quand je l'aidais à coudre parce qu'elle faisait tout elle-même. À l'époque, on faisait tout à la maison et je l'aidais. J'ai commencé à travailler sur la machine à coudre dès l'âge de cinq ans. Une machine à bras, juste pour jouer. J’ai appris à faire des lignes droites sur un cahier d'écolier, j'avais cinq ans. À dix ans, je faisais mes vêtements et du coup je faisais pour moi et mes frères et sœurs. À treize ans, j'ai commencé à avoir une petite clientèle, des demandes du quartier. Je me faisais payer. Ce qui veut dire que pendant les rentrées scolaires, je n'allais pas à l'école, le premier mois, parce que j'avais beaucoup de commandes, je n’étais pas rapide. Mais comme je travaillais très bien à l'école, mes parents n'étaient pas trop affolés ».

Haïti, Jamaïque, Montréal, il arrive à Paris en 1984 pour suivre des études dans une école de mode et de stylisme. Helmer Joseph rêve de Paris, le berceau de la haute couture. Il apprend, créée et s’inspire des plus grands Dior, Rochas, Yves Saint Laurent et tant d’autres. Helmer Joseph est diplômé d’une quinzaine d’écoles de mode, et encore aujourd’hui, cet éternel apprenant continue à se former. 

« J'ai fait pas mal de formations de tricot-machine parce que je suis curieux. Arrivé à Paris, j'ai fait Esmod. Après, j'ai fait Christian Chauveau pour le maquillage, pour le cinéma et puis là j'ai pu rester à Paris. Je n'avais pas de portfolio. Chez Esmod, j’ai sympathisé avec une fille, son conjoint, était photographe. Nous avons fait un shooting de photos sous le Pont Neuf, avec une amie mannequin de Montréal. Quelqu'un passait par là, a demandé "qui a fait la robe?’". Elle a dit que c’était moi, il m’a donné une carte. J'ai appelé. Je suis entré dans un atelier de haute couture. C'était aussi facile que cela. Du coup, j'ai touché un peu à tout. Mais après j'ai fait Lesage en broderie, j’étais la troisième personne à m'inscrire à l'école, dès que j'ai entendu parler qu'il y avait cette formation, parce que j'avais fait de la broderie aussi en Jamaïque. Après, j'ai fait le design textile, le chapeau, la Chambre syndicale de la couture parisienne en moulage, une formation complète de moulage pour pouvoir enseigner plus qu'autre chose. Le mois dernier, j'ai fait de la soudure, une formation de soudure parce que maintenant il y a beaucoup de carapace. Tout est rigide dans la mode. Dès qu'il y a des séminaires, je les prends, même si c'est loin parce que j'ai une école en Haïti, une école de mode et de métiers d'art. Je dois, donc, répondre à pas mal de questions. Je suis aussi chargé de cours à l'Université du Québec, à Montréal, à l'UQAM. Il faut répondre à toutes les questions parce que chacun a des inspirations, il faut les encadrer », explique-t-il.

La maîtrise des techniques traditionnelles, couture, broderie, confection, finition, est essentielle pour Helmer Joseph, afin de créer des pièces de haute qualité. Toutefois, son processus créatif démarre toujours par le textile. « Le tissu, je le vois déjà au toucher. Je vais voir si je peux l'écraser, le mouler, voir ce que je peux faire avec. Je peux le mettre sur mon bras pour voir comment il bouge, pour la manche. C'est d'abord le tissu. Du tissu, je vais créer quelque chose. Ma formation de tailleur me pousse à préférer la laine. Parce que la laine, par exemple, dans les maisons de haute couture, on dit qu'un tailleur, c'est juste repasser, c'est-à-dire, quand on peut repasser de la laine, on peut sauver n'importe quel modèle. Tandis que la mousseline, je n'aime pas trop. Mais tout ce qui est soie pour les robes, les drapés, j'aime bien. Mais moi, c'est la laine. Je préfère le lin au coton, le coton ça n'a pas de vie. Il y a de très beaux tissus pour les chemisiers d'hommes qui sont solides, qui ont vraiment de la force. Mais tout ce qui glisse, je n'aime pas ! Encore une fois, c'est ma formation tailleur. J'aime bien quand c'est construit ».

« Par exemple : sur les défilés, quand c'est une femme qui a travaillé sur un veston, je le vois. Quand c'est un homme qui a travaillé sur une robe, je peux le voir aussi, la main n'est pas pareil. Ça, on peut le voir. On fait le jeu assez souvent. Il y a du plaisir quand on est responsable d'une robe. Et puis on voit morceau par morceau. Il y a des moments pendant le défilé, les manches ne sont pas encore arrivées, le défilé commence. Il faut être prêt avec ses épingles pour épingler. Il y a beaucoup de plaisir à travailler en arrière ».

Le couturier haïtien accorde une importance capitale à la sélection rigoureuse des matériaux, mais aussi à celle des couleurs. « J'aime beaucoup le bleu, le bleu indigo, pas le marine. J'aime beaucoup le gris parce que ça se mélange très bien et j'ai toujours du noir et blanc dans les mélanges parce que ça réveille. Et puis j'aime beaucoup le mauve. Tout ce qui est mauve et le fuchsia, une petite touche. Parfois, c'est juste la doublure d'un veston qui est en orange ou en fuchsia, mais j'ai besoin de couleur. C'est très rare que j'aie du noir, mais je mélange tout de même les matières sur mes robes noires et la couleur. A un moment, je faisais beaucoup de couleur et j'aime beaucoup. Je mélange, je me donne cette liberté de mélanger les couleurs comme je veux. Il y a aussi un piège dans la couleur. Quand c'est à la mode, c'est à la mode. Mais c'est comme l'orange. Si l'orange n'est pas à la mode, ça gâche quasiment une collection. Le rose, j'en ai toujours parce que ça peut plaire, mais ce n’est pas une couleur que j’aime parce que j'ai eu mes sœurs à la maison, ma mère à la maison. Tout était rose. J'avais horreur de cela. Quand j'invitais les gens chez moi à Paris, mes conditions pour être invité : pas de chemise de nuit rose, pas de vêtement rose. Je ne veux rien de rose chez moi ». 

Cet artisan passionné, installé à Montréal, s’exprime à travers ses vêtements, il aime relever des défis et ne s’arrête que lorsqu’il est pleinement satisfait du résultat. « Quand je commence sur certaines pièces, je me sens comme un chirurgien. Je ne peux pas fermer le malade pour dire je reviens demain. Il y a des modèles, je fais mes 27 h sur le modèle non-stop. Tant que ce n'est pas fini, je n'arrête pas. J'ai besoin de le voir. C'est toutes mes journées qui passent là-dedans. Pour ne pas dire toute ma vie. Je sors aussi. J'ai une vie, mais quand j'ai une idée, je dois le voir. Je peux me réveiller à 2 h et puis aller dans l'atelier, parce que j'ai un atelier chez moi aussi, je vais faire des tests. Et même quand j'avais 18 ou 20 ans, j'allais dans les discothèques le samedi soir, je rentrais à 2 ou 3 h du matin, je commençais ma chemise pour la semaine prochaine, avant d'aller me coucher. Quand j'ai une idée, c'est mortel. C'est sûr que ça vous oblige aussi à avoir une vie de célibataire. Dès que j'arrive à voir que c'est faisable, je le mets de côté, puis je prends un autre. Je n’ai jamais rien de fini, j'ai plein de choses de commencer. Et puis à la dernière minute, je vais choisir, tout dépend de l'événement, de l’occasion. Mais j'ai plein de choses et des idées. C'est comme ça. Et là, j'ai le malheur d'avoir mon atelier au-dessus du magasin de tissus. Je suis dedans ».

Helmer Joseph partage son temps entre la mode et l’enseignement. Il est le directeur fondateur d’une école de mode et de métiers d’art en Haïti. Il offre ainsi à de jeunes talents une chance de s’insérer dans un secteur difficile. Son engagement va bien au-delà de la création : il souhaite préserver la qualité, la rigueur et la beauté du travail artisanal, tout en s’adaptant aux contraintes du pays. Helmer Joseph a développé sa méthode. « C'est très gratifiant parce que les élèves apprennent vite, ils ont ce besoin de réaliser des choses. Moi j'ai commencé le cours à l'envers :  la première semaine, tout le monde doit faire de la broderie parce que dans les douze points de base de broderie, c'est tout ce que l'on va utiliser pour les finitions, même ceux qui ont déjà une formation de tailleur, ils sont toujours étonnés après la première semaine de voir ce que cette formation de broderie leur a apporté. Tout le monde est déjà plus autonome ».

« Les premiers trimestres, on fait des accessoires de mode : chapeaux, sacs. On essaie de tout faire...une robe par exemple. Et je fais toutes les jupe d'un coup. En une semaine, je fais les jupes portefeuille, jupes droites, parce que les écoles c'est quasiment un trimestre pour faire les six jupes. Si tu ne comprends pas, ce n'est pas grave parce que c'est la même base qu'on agrandit, mais à la fin on peut tout faire. On n'a pas le droit actuellement en Haïti de prendre trois ans de quelqu'un pour le former en mode parce qu'il faut qu'ils trouvent quelqu'un qui paye. Là, ils ne peuvent pas payer. Il y a le transport, l'insécurité. Il n'y a rien qui dit que cette personne va travailler vraiment dans le métier, mais avec des modules de trois mois, j'ai la satisfaction de voir qu'ils s'accrochent vraiment ! Les meilleurs, je leur donne un salaire. Le salaire, c'est quoi 50 ou 100 € par mois... pour eux, c'est beaucoup. Je me suis dit que si je peux aider dix jeunes, je le fais, j'investis là-dessus. Il y en a qui sont intelligents, honnêtes, respectueux. Ils ont tout, mais ils peuvent rien faire. Je ne sais pas ce que cela va donner, mais je continue à le faire ». 

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