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Poésie, intensité et résilience dans la mode avec Alia Baré


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Alia Baré, créatrice de mode nigérienne, incarne une démarche authentique et engagée. Des bijoux aux vêtements, Alia Baré aime concevoir une silhouette jusqu’aux moindres détails. À travers ses collections inspirées de la mythologie, la nature et de ses expériences personnelles, elle tisse un pont entre tradition et modernité, tout en valorisant le savoir-faire artisanal africain.

Alia Baré privilégie la production en petites séries et le sur-mesure pour limiter le gaspillage et garantir une fabrication soignée, tout en mettant en avant une mode respectueuse de l’environnement et des personnes. En 2025, elle fête les 10 ans de sa marque éponyme. 

« Je suis à fleur de peau, je ressens souvent les choses très fortement. Le fait de pouvoir créer, de pouvoir donner un sens à travers les couleurs, le défilé, la musique, les paroles même de la chanson ont une signification. Au début, de mes premiers défilés, je pleurais comme une madeleine parce qu'il y avait un effet de catharsis où tout sortait et je guérissais aussi. » 

Artiste et entrepreneure née au Niger, à Niamey, avec un père diplomate, Alia Baré a grandi entre la France et l’Algérie. Elle a poursuit des études dans une école de commerce à Paris : « J'ai toujours été très timide quand j'étais plus jeune et ce passage dans cette école de commerce m'a permis de m'ouvrir, de m'épanouir, d'être dans un environnement différent en France. J'ai pu affirmer ma personnalité dans la mesure où je suis la deuxième d'une fratrie de cinq enfants et chacun a une forte personnalité. J'avais tendance à me mettre plutôt en retrait par rapport à mes autres frères et sœurs, et là, cela m'a permis de développer mon individualité. Par la suite, je me suis mariée et j'ai suivi mon mari en expatriation, d'abord en Inde, puis à Singapour. »

 

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Alia Baré débute sa carrière en tant que conseillère, cliente et gestionnaire de patrimoine dans le milieu bancaire. Puis, elle suit son mari en Inde et cette période d'expatriation la transforme. Elle explore la création en bijouterie et en textile.

 « J'ai toujours aimé créer, manipuler, faire des dessins, des coloriages, des bricolages et je touchais à tout. J'avais une petite machine à coudre et j’effectuais des travaux à la maison, décoration d'intérieur, sinon, c'était de la peinture... J'ai fait le design de bijoux, pendant deux ans. Cela m'a plu, j'ai passé plusieurs diplômes dont un en gemmologie et j'ai créé ma marque de bijoux sur mesure. Ce sont des bijoux en or, diamants, ou pierres semi-précieuses. J'ai commencé à les vendre quand je venais à Paris ou en Afrique et j’ai rencontré un franc succès. Cet amour des bijoux et des pierres se retrouve souvent dans mes tenues et dans mon choix de couleurs, parce que j'aime les couleurs. J'appelle ça les couleurs "pierres précieuses", comme le vert émeraude, rouge rubis, ou le bleu saphir. Ce sont des couleurs qui sont intemporelles, très élégantes. En cas de doute, avec ces couleurs, vous ne pouvez pas vous tromper. Cela fait partie de mes codes couleurs qui reviennent régulièrement. C'est pour cela que j'aime beaucoup le milieu de la mode, parce qu'on arrive à concilier tous les domaines artistiques et les mettre ensemble. Je cherche vraiment à transmettre une émotion, une sensation. »

Après l’Inde, Alia Baré, s’installe à Singapour, ne pouvant plus assurer le suivi de la production de ses bijoux, elle se forme aux métiers de la mode. Avec son engagement éthique, elle valorise les artisans locaux et aspire à faire rayonner la richesse de l’Afrique à l’échelle mondiale. En 2015, elle y lance sa marque éponyme.

 « Bien qu'étant du Niger, Dakar, c'est un peu ma seconde maison et c'est là où je suis venue. J'y ai tout de suite ouvert mon atelier. En 2015, je saute dans le grand bain à peine diplômée. Je n'ai pas fait de stage long, j'ai fait mon stage d'école à Singapour, mais je n'ai pas fait de stage dans une maison de couture. Là, pour moi, il n'y avait pas de temps à perdre. Il fallait foncer et me jeter à l'eau. Le plus difficile était de constituer une équipe. Mais il se trouve qu'une de mes amies connaissait un chef d'atelier, qui très doué, et j'ai dû le démarcher, le convaincre. Je lui ai dit : "C'est une aventure que je commence. Crois-moi, si tu me suis, si tu me fais confiance, on fera de belles choses ensemble, on sera une équipe à part entière". Et jusqu'à aujourd'hui, il est avec moi et on travaille ensemble. Tout ce travail, je n'y serais pas arrivée sans lui non plus. Il y a donc aussi cette gratitude par rapport à ce que certains appellent les petites mains. Les petites mains, c'est souvent associé aux techniques de perlage, aux petits détails. Mais il y a aussi des personnes comme les chefs d'atelier, les coupeurs et autres, qui font un travail extraordinaire et qui permettent de donner vie à nos envies, à nos rêves. »

La mode transforme la douleur ou la joie. Pour Alia Baré, c’est une forme de guérison. « Enfant, j'étais quelqu'un d'assez introvertie et la création est devenue une manière d'exprimer tout ce que je ressens. Je ressens très intensément, je suis une hypersensible. J'ai perdu mon père à 17 ans, et c'est quelque chose qui m'a beaucoup affectée. La création me permettait de sortir toute cette douleur sans avoir à parler. C'est une thérapie. Au fur et à mesure, mes collections ont évoluées. Si on regarde rétrospectivement, mes premières collections étaient très noires. C'était du noir, du cuir. C'était torturé, et au fur et à mesure, c’est devenu plus léger. »

 

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La sensibilité d’Alia Baré aux couleurs et aux matières nourrit ses collections. Son processus créatif, sensible et flexible, puise dans la mythologie, la nature et son vécu.

« Mes amis se moquent de moi parce que je dis que la matière est poétique. J'ai l'inspiration du poète. Par exemple, il y a un an, j'ai fait une collection inspirée par le tableau "Les nénuphars" de Claude Monet, que j'adore. J'ai pris les feuilles de nénuphars, mais j'ai décliné un peu en abstrait. J'ai décliné les couleurs, le turquoise, certaines petites pointes de bordeaux et autres, et j'en ai fait toute une collection sur le côté nymphéas avec des femmes en fleurs dans un jardin. Cela peut partir de l'amour. Si je ressens énormément d'amour, si je tombe amoureuse, les gens qui me connaissent le savent parce qu'il y a une légèreté qui se dégage, dans les couleurs aussi. C'est également le cas quand je suis triste. J'ai connu une rupture très douloureuse et j'ai fait une collection qui s'appelait Narcisse et Écho. J'adore la mythologie grecque, donc la nymphe Écho qui devient un écho par rapport à l'amour non partagé de Narcisse, qui lui aussi meurt de son amour-propre, parce que cette personne était narcissique. J’ai guéri de cette relation à travers cette collection. »

Pour ses créations, Alia Baré utilise des matériaux durables, de qualité qui témoignent aussi de la richesse de son héritage, tout en adoptant une esthétique contemporaine.

« En ce moment, je suis complètement in love de l'Aso Oke, un pagne tissé du Nigeria. Il y a quelque temps, c'était le batik. J'aime beaucoup. Ces matériaux arrivent à donner une intensité, c'est-à-dire qu'il y a une qualité beaucoup plus importante que ce qu'on va retrouver parfois au Sénégal. Parce que le problème, c'est que parfois, dans le travail de l'artisanat, il y a une perte de qualité. Les artisans bâclent un peu le travail. C'est dur à dire, mais souvent, on perd en qualité de certaines matières. Il y a deux ans, j'étais complètement dans le bogolan, c'était incroyable. J'adore aussi la soie, la vraie soie naturelle. Le vrai batik d'Indonésie sur soie, c'est d'une poésie extraordinaire, aussi dans l'intensité des couleurs. La dentelle de Calais ou de Chantilly par exemple, j'adore. Je suis une fan de tissus. En ce moment, je suis à fond dans ce qu'on appelle Aso Oke, c'est yoruba, avec des grandes intensités de couleurs, qui tournent aussi des rayures, donc on a une possibilité de s'amuser sur ces rayures. J'adore les fleurs, j'aime beaucoup le côté cursif et instinctif naturel des fleurs, mais j'aime beaucoup aussi la rectitude des lignes. L’un n'empêche pas l'autre. »

La préservation des métiers d’art traditionnels africains, souvent menacés par la mondialisation, est essentielle aux yeux d’Alia Baré.

« Pouvoir déjà obliger ces artisans à maintenir des standards de qualité... En règle générale, pour des petits détails qui ne vont pas sauter aux yeux de prime abord, disons une tenue même, on passe d'un temps simple à un temps doublé, voir triplé, quand certaines étapes doivent être respectées. L'enjeu, c’est comment le faire comprendre aux tailleurs. Moi, je les paye pour qu’ils n’aient pas cette pression. Quand il y a un défaut sur une tenue, il faut qu'ils aient le temps de défaire et refaire sans que cela n’ait un impact sur leurs revenus. C'est très important qu'on puisse leur donner le temps de bien travailler dans des conditions correctes. Ensuite, les artisans, les tisserands, il faut leur donner des débouchés. Le principal, à travers l'amour du métier, c'est de ré-insuffler cet amour. Il y a des initiatives avec des maisons qui créent des écoles où on enseigne ce savoir-faire. L’État commence au fur et à mesure à investir. En dehors de l'État, il y a également des organismes qui permettent de former les jeunes générations sur ces standards, et c'est notre pierre à l'édifice d'assurer à ces artisans que nous continuons à travailler leur matière et que nous les rémunérons correctement. En Afrique, ce qui est important, c'est cette cohésion sociale qui maintient un équilibre. Et cela, quoiqu'il arrive, peu importe notre niveau de développement, c'est quelque chose qu'on ne doit pas perdre. C'est ce qui fait notre beauté, c'est ce qui fait notre singularité.  »

 

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