Les bonnets jaunes des agriculteurs de la Coordination Rurale ont été très présents lors du mouvement de colère des paysans en début d'année en France. Alors qu’approche le deuxième tour des législatives, l'un des leaders de ce syndicat se verrait bien ministre de l'agriculture en cas de gouvernement d'extrême droite
La Coordination Rurale (CR) naît dans les années 90 à la suite d'un mouvement de protestation d'agriculteurs qui se sentent floués par la réforme de la PAC, la politique agricole européenne, et par le syndicat majoritaire en France, la FNSEA. À ce moment-là, la nouvelle formation syndicale pousse surtout dans les zones céréalières, dans le sud-ouest de la France et dans le bassin parisien, rapporte François Purseigle, sociologue à AgroToulouse et au Cevipof de Sciences Po.
Dans le Lot-et-Garonne, l'un des bastions de la CR aujourd’hui, « c'est l'époque où les paysans, surtout producteurs de fruits et légumes, souffrent de la concurrence des produits espagnols dont le pays a rejoint la Communauté Économique Européenne », se souvient Bernard Péré, cofondateur dans le département de la Confédération paysanne, troisième syndicat en représentation au niveau national et ancré à gauche.
Aujourd'hui en deuxième position après la FNSEA, la Coordination Rurale pèse pour 20 % des votes aux élections pour les chambres d'agriculture et elle en dirige trois, celles du Lot-et-Garonne, de la Vienne et de la Haute-Vienne.
« Les paysans, socle de la civilisation française »Quel discours porte la Coordination rurale ? Au niveau économique, l'organisation syndicale prône la souveraineté alimentaire, s'oppose aux accords de libre-échange et réclame des revenus dignes pour les agriculteurs. Mais elle a aussi une rhétorique identitaire.
S'emparant très tôt de la question sociale du malaise agricole et des nombreux suicides d'agriculteurs, la CR entend rendre aux paysans la fierté qu'ils auraient perdue. « Elle fait des paysans le socle de la nation, de la civilisation française même, pour reprendre leur expression, indique François Purseigle qui a étudié ce syndicat, et en ce sens, cela fait écho aux discours sur ‘l'exception agriculturelle’ prônés par l'extrême droite ». Au niveau environnemental, et alors qu’aujourd’hui, elle tape à foison sur les écologistes, la Coordination rurale s'est opposée aux OGM et aux biotechnologies, poursuit le chercheur, « parce qu'on ne peut pas dénaturer l'œuvre de Dieu, c'est-à-dire l'œuvre de mère-nature ». « On voit là que la prophétie tient lieu de discours au sein de la Coordination rurale », analyse-t-il.
C'est le crédo agrarien. Il y aurait d'un côté le bon sens paysan, la ruralité. Serge Bousquet-Cassagne, figure historique du syndicat dans le Lot-et-Garonne, explique ainsi à RFI que les agriculteurs « veulent surtout qu'on leur foute la paix et qu'on les laisse travailler, car eux seuls, eux seuls savent ce qui est bon, eux seuls savent maîtriser la nature, la dominer un tout petit peu et prendre les coups qu'elle lui donne ». En face, il y aurait les villes et des hauts fonctionnaires, des ingénieurs et des « écologistes punitifs » hors-sol.
Enfin la Coordination Rurale c'est un style désinhibé et un répertoire d'actions musclées, postées ensuite sur les réseaux sociaux : des pancartes au langage cash et des symboles installés dans les champs, comme lorsque le syndicat plante des « croix du désespoir » pour dénoncer le « génocide paysan » en 2016, rappelle François Purseigle ; et des opérations coup de poing, parfois violentes, avec des adhérents aux bonnets jaunes qui bloquent les routes, s'en prennent à des bâtiments de l'administration ou intimident leurs opposants devant leurs domiciles.
Bernard Péré, ancien conseiller régional écologiste du Lot-et-Garonne, aujourd'hui président de Terres de liens, une association qui favorise l'installation de nouveaux agriculteurs aux pratiques respectueuses de l'environnement, décrit « des méthodes violentes auprès des personnes, des menaces chez les gens » en ce qui concerne la CR du département, même s'il reconnaît « un charisme et des qualités de leader » à Serge Bousquet-Cassagne. Ce dernier nie les menaces et assure « qu'aucun policier n'a été blessé » dans leurs actions de protestations en début d'année.
Quels sont les liens entre ce syndicat et l'extrême droite ? Officiellement, la Coordination rurale est apolitique. « Pendant longtemps, le syndicat a cherché à se distinguer de l'extrême droite, mais récemment, on sent que chez certains le verrou a sauté », analyse François Purseigle. Dans ses récentes prises de parole, l'actuelle présidente du syndicat Véronique Le Floc'h ne donne pas de consigne de vote, mais elle normalise le parti d'extrême droite en affirmant qu'il « se centralise », en le comparant à la droite, et elle assure que son organisation est prête « à travailler avec tout le monde ».
Certains leaders locaux, eux, assument et ont appelé à voter Rassemblement National (RN) aux élections européennes et aux législatives. C'est le cas de Serge Bousquet-Cassagne, président de la Chambre d'agriculture du Lot-et-Garonne et ancien baron du syndicat au niveau local. Surnommé "Bousquet-Castagne" en raison de ses méthodes musclées qui lui ont valu plusieurs condamnations, cet agriculteur explique à RFI que « c'est par dépit, mais aussi par conviction ».
« On s'est rendu compte que tous les autres [partis] nous ont menti, rementi et archimenti », indique-t-il. Et pour lui, « la seule politique qui peut permettre aux agriculteurs français de s'en sortir, c'est de casser les traités européens et mondiaux et de casser la concurrence déloyale des pays étrangers qui nous envoient des produits sulfatés avec des produits interdits par chez nous ».
A titre personnel, il ajoute qu'il faut remettre tout le monde au travail. « Si on veut parler de migration, je ne vous cache pas que nous sommes complètement satisfaits et heureux de faire venir de nombreux marocains du Maroc six mois de l'année pour lever nos récoltes en Lot-et-Garonne. Et je ne vous cache pas que je suis aussi déçu que les citoyens français, ou les immigrés d'origine étrangère habitant sur notre sol depuis longtemps, ne veuillent plus lever nos récoltes ». « Ils ne veulent plus travailler, considère-t-il, puisqu'en France, dès que vous arrivez, on vous sert des salaires sans travail ». Une rhétorique calquée sur celle du RN et pourtant contredite par les faits et les études sur les apports de l’immigration à la société française.
En cas de gouvernement RNEn début d'année, la gestion de la Chambre d'Agriculture du Lot-et-Garonne, que préside Serge Bousquet-Cassagne, a été étrillée par un rapport de la Cour des Comptes qui lui reproche un fonctionnement opaque et « des irrégularités ». L'intéressé nie toute malversation, mais confirme à RFI ce qu'avait révélé le journal le Canard Enchaîné il y a quelques jours : il se verrait bien ministre de l'agriculture dans un gouvernement d'extrême droite. « Si demain Jordan Bardella est premier ministre et qu'il me fait l'honneur de m'appeler, je répondrai présent », assure-t-il.
En ce qui concerne la base de la Coordination rurale, d'après une enquête de Sciences Po et AgroToulouse réalisée en avril dernier, 62 % des sympathisants de la Coordination rurale comptaient voter pour l'extrême droite aux élections européennes du 9 juin dernier. « 47 % pour le RN et le reste pour le parti d’Éric Zemmour, Reconquête, détaille François Purseigle. C'est de chiffres beaucoup plus importants que pour les sympathisants du syndicat majoritaire FNSEA qui ne souhaitaient accorder leurs voix à l’extrême droite qu’à une trentaine de pourcent ».
Pour autant, la poussée du vote d'extrême droite dans les campagnes françaises ne veut pas dire qu'il y aura une poussée du vote pour la Coordination rurale aux prochaines élections de la profession pour les Chambres d'Agriculture en janvier 2025, relativise le sociologue. Car les agriculteurs votent aussi « pour d'autres raisons que le positionnement politique, la CR n’a pas d’équipes pour mener campagne dans tous les départements et la FNSEA offre des services administratifs et juridiques aux paysans ».
Si l'extrême droite obtient la majorité absolue à l'issue des législatives de ce dimanche 7 juillet et forme un gouvernement, la Coordination rurale et ses adhérents se sentiront-ils pousser des ailes ? « On laissera du temps au temps à ce gouvernement RN », garantit Serge Bousquet-Cassagne, dont les troupes avaient promis de se remobiliser à l’automne et de remonter en tracteurs vers Paris.
Bernard Péré, de l'association Terres de Liens, craint lui les effets sur les adhérents de la Coordination rurale. « Serge Bousquet-Cassagne a derrière lui des jeunes qui me font peur par leur virulence et leur capacité de violence. Si nous avons un gouvernement du RN, je pense que ces gens vont se libérer et libérer leurs pulsions », estime l'ancien conseiller régional EELV.