Pour célébrer la Journée mondiale de la radio, nous recevons Mylène Pardoen, musicologue spécialiste des musiques militaires, ingénieure de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et archéologue du paysage sonore. Mylène de Pardoën avec la technologie actuelle débusque les sons du passé dans notre présent, là où ils existent encore, elle les capte et ensuite elle crée des environnements sonores pour nous faire entendre les sons du passé.
Cette experte scientifique au parcours atypique est aussi experte acoustique sur le chantier de rénovation de notre Dame. Elle a reçu de nombreux prix dont la médaille de cristal du CNRS. Une récompense qui distingue celles et ceux qui contribuent à l’avancée des savoirs et de la recherche française.
Je vais être franche, il y a à peu près 85 % du travail qui est purement scientifique. Mais, après il y a la narration, donc même si elle n'est pas fictionnelle, cette narration-là, c'est ma part de création.
Mylène Pardoën, Ingénieure de recherche, chercheur au CNRS :
J'ai créé ma discipline : archéologie du paysage sonore. Il fallait trouver un nom à cette activité.
Née à Tourcoing dans le nord de la France, Mylène Pardoën arrête ses études assez tôt pour trouver du travail, sans Baccalauréat, elle s’engage dans l’armée de Terre comme mécanicien sur hélicoptère. Un métier où elle travaille avec ses sens. Après un accident de parcours, elle valide ses 17 ans de services et ses diplômes de sous-officier de carrière pour rentrer à l’université où elle s’inscrit en musicologie et se spécialise en musique militaire. Son aventure avec le son commence au musée des Invalides. Son travail est à destination de la recherche scientifique et du grand public. Ses propositions de création de paysages sonores s’établissent sur un schéma scientifique, pour cela elle mène l’enquête à deux niveaux.
« Le premier niveau, c'est une enquête dans le passé, y trouver les indices sonores et une enquête en parallèle dans le présent. Quand j'ai l'indice sonore, est ce que ce son ou cette ambiance sonore est ce que je peux la retrouver dans le présent ? J'ai deux longues enquêtes. Pour faire simple, un indice de premier ordre, c'est quand nous avons une enclume et un marteau, nous savons à peu près ce que cela va donner. Si je suis sur un document administratif par exemple, où je vais retrouver tous les métiers qui seront pratiqués dans une rue, je vais dérouler un fil, le métier, je vais chercher par rapport à l'époque du document administratif, comment il était pratiqué, quels sont les outils, quelles sont les matières ? À partir de là, je retombe sur un indice qui devient du premier niveau comment cela va résonner ? »
« Ensuite c'est plus ténu, c'est par exemple la description une pièce mais dans la pièce il va manquer des éléments, c'est-à-dire que vous allez me dire " la pièce, elle peut être silencieuse ", mais vous n'allez pas penser à dire il y a le tic-tac de l'horloge, nous allons chercher, quand nous avons la possibilité, de retrouver les éléments par exemple tout ce qui est testament, puisque les actes notariés, surtout au 17ᵉ, 18ᵉ, 19ᵉ siècle, comme il y a des impôts qui sont prélevés, ils font le détail par le menu de ce qu'il y a dans la pièce et nous allons savoir s'il y a une horloge, un tapis, cela va nous donner des éléments pour savoir comment la pièce résonnait. Je fais des enquêtes à plusieurs étapes. Nous allons passer sur des captations, avec un peu d'ambiance, mais c'est relativement rare parce que ce qui nous intéresse, c'est de retrouver les ambiances du passé. Nous ne pouvons pas prendre des ambiances d'aujourd'hui. Nous, ce que nous allons chercher c'est des objets sonores. »
capter le son des objets
Dans la captation Mylène Pardoën recherche le geste et la matière sonore. « Le minimum de micros utilisé, c'est trois, le maximum, jusqu'à présent déployé, cela a été vingt-cinq. Pourquoi ? Parce que nous allons capter la transformation de la matière en mettant des micros surfaciques et puis allons suivre le geste au plus près avec d'autres types de micros pour restituer un objet sonore qui soit joufflu, en trois dimensions, bien dense. Si vous ne mettez qu'un seul micro, c'est quelque part, un aplat. Vous n'allez pas pouvoir rendre cette texture qui est riche quand elle arrive à nos oreilles. C'est riche, il y a plein d'informations, donc nous allons capter cela et ensuite nous le mixons pour avoir plein d'objets sonores bien denses ensuite nous repassons ensuite dans le studio et écrire des histoires. Cela s'appelle hétérographie. Moi, je n'écris pas comme vous, je n'écris pas du texte, je mets mon histoire en son dans le logiciel. Nous racontons notre histoire. Et ensuite nous passons dans un autre logiciel pour spatialiser nos scènes. »
Le travail de restitution sonore est une hypothèse scientifique que Mylène Pardoen propose en créant des environnements sonores « Je détricote les histoires du passé, qui sont un petit peu biaisées au passage, parce que nous sommes sur de la sensorialité, l'émotion est toujours présente. Quand j’ai un témoignage, quel que soit le témoignage, à part le factuel du document administratif, la part émotionnelle est toujours présente. Je suis obligée de détricoter les histoires du passé pour recréer un petit bout d'histoire du passé dans notre présent. La part créative est là. »
« Et, il reste encore une part. Je prends par exemple le chantier de Notre-Dame, en 1170, il nous manque beaucoup de données, donc, je pars sur des hypothèses. À partir du moment où nous partons sur une hypothèse, il y a une création. Moi, je pose beaucoup de questions à mes collègues archéologues, je leur pose des colles. Parfois ils me disent : " Nous n'avons pas la réponse maintenant ", c'est normal. L'histoire évolue aussi. C'est assez dérangeant parce que nous, nous sommes dans le son, nous avons besoin, par exemple, de savoir comment, en 1170, était organisé le chantier de construction de Notre-Dame. Il n'y a pas de réponse. »
En complément et pour connaître les travaux de Mylène Pardoën, expert scientifique pour la restauration de Notre-Dame - Co coordinateur du groupe Acoustique. Concepteur, coordinateur et responsable du projet Bretez et du projet ESPHAISTOSS. Carnet de Recherche Archéoson
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