Cette semaine, nous accueillons Thierry Breton, ex-commissaire européen au Marché intérieur et ancien ministre de l’Économie français. Face à la menace de l'administration Trump sur divers sujets, il commente les défis sécuritaires, numériques ou commerciaux que l’Union européenne doit relever.
La défense est au cœur des discussions de l’Union européenne (UE) au moment où la Pologne, qui détient la présidence tournante du Conseil, consacre près de 5 % de son PIB à la défense, un record en Europe.
Face au poids militaire des États-Unis, notamment à travers l’Otan, Thierry Breton, ex-commissaire européen au Marché intérieur, insiste sur le fait que « l'Europe doit prendre son destin en main, dans toutes les dimensions, y compris en matière de défense ». S’il estime que l’UE dispose des infrastructures nécessaires pour accroître ses capacités de défense, il l’appelle à « augmenter sa base industrielle » afin de produire et utiliser des armes européennes.
L'ancien ministre de l’Économie français souhaite également aborder un sujet tabou : « Nous avons 26 pays en Europe qui dépendent des États-Unis pour la dissuasion nucléaire. » La France étant le seul pays de l’Union à disposer de l’arme nucléaire, l’ex-commissaire européen estime que cette dépendance aux Américains est « défavorable » à l’UE. « Tant que ce problème n'aura pas été adressé de façon sérieuse entre les Vingt-Sept, il y aura une dépendance envers les États-Unis, qui sont dans une logique transactionnelle », prévient-il. « Il faut maintenant que la France parle de cette composante (nucléaire) avec l'ensemble des Vingt-Sept. » « Dans la confidentialité que requiert ce type de discussions », précise-t-il.
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Il faut que nous, Européens, prenions notre destin en main »
Au chapitre de la guerre en Ukraine, Donald Trump s’est entretenu avec Vladimir Poutine, sans inclure les Ukrainiens et l'UE. Thierry Breton rappelle que « cette guerre se déroule sur le continent européen ». « Il faut que nous, Européens, prenions notre destin en main. Il faut nous faire entendre. Aujourd'hui, nous sommes beaucoup à trouver que l'Europe ne parle pas assez », dénonce-t-il. L’ex-commissaire européen estime que l’Ukraine est « un pays souverain qui s'est battu de façon admirable » et que « l’Europe doit dire que les discussions doivent se dérouler avec elle et avec Volodymyr Zelensky ».
Autre sujet de discorde transatlantique : la menace de Donald Trump d’augmenter les droits de douane des produits européens, en instaurant des « droits de douane réciproques ». L’ancien commissaire au Marché intérieur explique que de tels droits de douane impacteraient tout d’abord les consommateurs américains, car les produits coûteront plus cher à l’achat. « S’il y a des discussions commerciales, nous serons prêts à les mener », estime-t-il. « Il faut exercer ce rapport de force politique. Il faut répondre en ciblant des domaines, des géographies ou des industries qui ont un impact politique plutôt qu’économique », détaille-t-il. Il appelle à cantonner la négociation au secteur commercial, sans céder aux pressions sur d’autres terrains : il ne faut pas mettre à mal nos lois encadrant les services numériques ou l’IA « qui ne plaisent pas à l'administration Trump ». « Nous ne pouvons pas accepter de détricoter ce qui fait partie de notre intégrité pour éviter des droits de douane. »
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Il y a un lien entre immigration et accroissement de la richesse nationale »
En matière d’environnement, la Commission européenne est accusée par les écologistes et des ONG de mettre en place une simplification des normes pour les entreprises qui pourrait être synonyme de dérégulation. L'ex-commissaire européen chargé de l’industrie appelle à garder « notre ligne directrice » en lien avec les accords de Paris : « Si jamais il faut améliorer les éléments de cette transition, il faut le faire, mais il faut toujours avoir l'objectif en tête : 2050, continent décarboné. »
Autre sujet qui enflamme les débats au sein des Vingt-Sept : la gestion de l’immigration. Alors que de nombreux États membres durcissent leur politique d’accueil, le gouvernement socialiste espagnol a adopté une réforme qui entend régulariser 900 000 étrangers sans-papiers d'ici trois ans. L’Espagne, qui a connu une croissance spectaculaire en 2024, enregistrant ainsi la meilleure performance de la zone euro, affirme que l'immigration n'est pas un danger, mais une source de croissance économique. « Il y a un lien entre immigration et accroissement de la richesse nationale. Tous les économistes vous le diront », confirme Thierry Breton. « Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas contrôler l’immigration. L'intégration est le sujet sur lequel il faut travailler ensemble », tempère-t-il.
Lors du Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle (IA) les 10 et 11 février derniers, la France a accueilli des chefs d'États, entreprises et spécialistes internationaux. Les États-Unis, grands leaders du marché de l'IA, appellent à limiter la régulation pour favoriser l’essor de l'industrie. Thierry Breton, ancien commissaire européen en charge du numérique, ne croit pas en l’hégémonie américaine : « Les États-Unis nous suivront, sinon ils se mettront en marge du monde. » Défendant son bilan de commissaire, marqué par la mise en place de lois numériques européennes, il appelle à être « fiers » de notre régulation. « Si les entreprises internationales veulent bénéficier du marché intérieur européen, elles devront respecter nos normes », avance-t-il. « Nous avons tout ce qu'il faut en Europe, nous avons le plus grand réservoir de données industrielles et professionnelles au monde. Maintenant, il faut du financement », et une union des marchés des capitaux européens pour mieux lever des fonds, conclut-il.