C'est l'une des priorités affichées du nouveau gouvernement de Damas, et l'un des sujets qui devrait être évoqué, jeudi 13 février, lors de la conférence internationale pour la Syrie qui se tient à Paris. Après plus de 50 ans d'un régime très autoritaire et près de 14 ans de guerre civile, comment rendre justice pour tous les crimes commis ? Torture, bombardement de zones civiles, utilisation d'armes chimiques : les atrocités commises en Syrie sous Assad sont nombreuses. Et les attentes de la population sont grandes.
De nos envoyés spéciaux à Damas,
Au siège de la Défense civile de Damas, une sirène retentit. Un camion de pompiers se met alors rapidement en mouvement. Ce sont des Casques blancs, la Défense civile active avant la chute de Bachar el-Assad dans le Nord-Ouest de la Syrie. Ils sont désormais installés dans la capitale.
Après une dizaine d'années passées à porter secours à des victimes de bombardements, les Casques Blancs ont désormais une activité plus classique de pompiers. Mais la guerre reste présente dans leur travail ; ils sont toujours à la recherche de charniers. Depuis la chute de Bachar el-Assad et sa fuite en Russie, ils en ont découvert 40.
Ces charniers révèlent l'ampleur des crimes et du cynisme du régime déchu, souligne Ahmad Yazji, l'un des fondateurs des Casques blancs : « Le charnier le plus révulsant est celui que nous avons trouvé à Damas dans un endroit que le régime voulait transformer en parc. Un parc sous lequel se trouvaient des centaines de corps. »
Pour l'heure, les charniers découverts sont refermés et préservés, dans l'attente de pouvoir identifier les victimes et afin de permettre la collecte de preuves. Depuis qu'ils ont commencé leurs activités, les Casques blancs ont tenu à recenser les victimes et garder des traces des bombardements sur lesquels ils intervenaient. « Des crimes de guerre », dit Ahmad Yazji. Des crimes pour lesquels il y a un besoin de justice.
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Nous réclamons toujours justice pour la nouvelle Syrie »
« Depuis le début, nous croyons que la justice doit avoir lieu, quel que soit le parti au pouvoir. Et maintenant que le régime a disparu, nous réclamons toujours justice pour la nouvelle Syrie. Nous exigeons aussi que les criminels rendent des comptes devant des institutions gouvernementales et rejetons les actes de revanche », insiste Ahmad Yazji.
Entre 2011 et 2020, Shadi Haroun a connu près d'une décennie d'emprisonnement. Le crime qui lui était : avoir organisé des manifestations anti-Assad dans sa ville de la Ghouta orientale, dans la banlieue de Damas. Pour cela, lui et son frère ont été transférés de prison en prison. Homs, Tartous, Alep et la plus sinistre d'entre elles : Saïdnaya.
« Le plus important, c'était la mentalité des geôliers. Je me souviens d'une phrase forte de l'un d'entre eux : "Je suis Dieu ici. Je peux te faire vivre ou te faire mourir." À cause de cette mentalité, vous pouviez mourir à tout moment. Ou au contraire, ils pouvaient vous donner un peu plus de nourriture », raconte Shadi Haroun.
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Le rôle central des victimes dans ce processus est essentiel »
Une étude de l'association des anciens détenus de Saïdnaya indique qu'entre 2011 et 2020, 40 000 personnes ont été incarcérées dans cette prison. Seules 5 000 en sont sorties vivantes. Aujourd'hui, l'association souhaite que justice soit rendue à travers un processus national. Et celui-ci doit véritablement être collectif, insiste Shadi Haroun :
« Le rôle central des victimes dans ce processus est essentiel. Il ne faut pas que gouvernement prenne des décisions seul à propos des victimes. Aucune des parties prenantes ne le devrait, qu'il s'agisse de personnes influentes ou de responsables politiques. Parce que c'est un processus collectif. »
L'association des anciens détenus de Sednaya a déjà eu des contacts avec les nouvelles autorités pour évoquer la mise en place de cette justice transitionnelle. Ils ont eu un entretien avec le nouveau président intérimaire, Ahmed al-Charaa. Mais dans un pays qui recherche encore des milliers de disparus, la justice prendra du temps. « Plusieurs décennies », anticipe Shadi Haroun.
Et pour être sincère, la justice devra examiner tous les crimes commis durant ses 14 années de guerre par l'ensemble des parties en conflit, y compris par les vainqueurs d'aujourd'hui.
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