En Syrie, la situation humanitaire s’est dégradée dans le sud du pays suite aux violents affrontements qui ont opposé les factions armées druzes, les clans bédouins et la sécurité générale du gouvernement. Les combats ont repris, dans la nuit du dimanche 3 août 2025, tuant deux personnes, et ce, malgré le cessez-le-feu du 20 juillet. Deux semaines après sa signature, la ville de Soueïda, fief de la communauté druze, vit comme assiégée et connaît de lourdes pénuries. Près de 173 000 personnes, en majorité bédouine, ont fui la ville pour trouver refuge dans la province voisine, à Deraa. Notre correspondante en Syrie, Manon Chapelain, les a rencontrées dans la ville d'Izra.
De notre envoyée spéciale à Deraa,
L’école d’Izra a été transformée en refuge. À terre, des dizaines de matelas ont été disposés entre des sacs de vêtements. Çà et là, quelques jouets d’enfants. Quatre-vingts familles du village de Sharbaa, tous des Bédouins, ont été déplacés là. De sa famille, Khitam, 18 ans, elle, n’a plus que son père. Les autres membres de la famille ont été tués par des milices druzes lors des derniers affrontements sectaires : « Ils nous ont tous tirés dessus. J’ai mis mes mains sur mon visage, pour me cacher. L’un d’eux a dit " Cette fille n’est pas morte ". Ils allaient me tirer dessus pour m’achever, mais un autre a répondu " laissez-la, laissez-la saigner, elle va mourir toute seule". »
« Regardez, j’ai été blessée ici par balle, j’ai une fracture. J’ai aussi des éclats d’obus, dans la main et dans la jambe. » Coincé dans un fauteuil roulant, Khitam montre ses blessures recouvertes de pansements. Son père tente de la rassurer, mais au fond, dit-il, c’est peut-être moi le plus inquiet.« Ils ont déplacé tous les Bédouins, ceux qui étaient impliqués dans les combats comme ceux qui ne l’étaient pas. Notre seul tort aujourd’hui, c’est d’être sunnite. Désormais, ils ne veulent que des Druzes à Soueïda. La coexistence, je crois, est impossible avec la présence des factions d’Al-Hijri. »
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Dans la salle d’à côté, un homme allongé à terre, la jambe immobilisée, fait défiler des vidéos des exactions des semaines passées : « Regardez la tête de l’enfant. Regardez jusqu’où elle a volé. » Ici, un petit garçon, la tête arrachée par une déflagration. Là, une jeune fille, les yeux cernés, victime d’un traumatisme crânien après avoir été violemment frappée. Elle a été transférée à l’hôpital de Damas. L'un des hommes veut de ses nouvelles, passe un appel : « Nous avons appris qu'elle était décédée. Est-ce exact ? Dieu merci, comment va-t-elle ? » Une femme lui a répondu qu'elle était en vie.
Un groupe de volontaires entre dans la petite école, prend les noms, distribue un à un de maigres dons. De la nourriture, de l’argent, quelques savons. C’est bien, mais pas suffisant, soupire Mouna, 60 ans : « Sans vouloir vous offenser. On se sent humilié ici. À Soueïda, notre ville natale, nous avions une vie digne. Nous étions honorés et respectés. »
À son tour, la vieille dame raconte. À Soueïda, j'avais des champs, dit-elle, des tracteurs, une grande maison. Ici, nous sommes réduits à attendre l’arrivée des dons : « Ils nous ont donné des matelas et nous apportent de la nourriture. Mais malheureusement, cela ne répond pas à tous nos besoins. Nous sommes des humains, pas du bétail. »
Nous ne sommes pas du bétail, répète-t-elle. Mais peut-être vaut-il mieux cela que de vivre dans l’insécurité ou pire, être tué.
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