En Moldavie, à trois semaines de la présidentielle et du référendum sur l’adhésion à l’Union européenne, les pro-russes se mobilisent. Dimanche dernier, ils ont défilé dans les rues de Chisinau « pour une Moldavie sans l’Union européenne ». Derrières ces rassemblements : un homme, condamné dans son pays à 15 ans de prison, l’oligarque en fuite, Ilan Shor. Réfugié à Moscou, le trentenaire y pilote ouvertement les mouvements anti-européens.
Deux des plus grands noms de la pop russe ont honoré l’événement de leur présence : un « congrès des forces d’opposition de Moldavie » s’est tenu en avril au prestigieux hôtel Carlton de Moscou, à deux pas du Kremlin. Désigné président du nouveau bloc « Victorie » qui regroupe des mouvements eurosceptiques et pro-russes, devant quelque 300 délégués et partisans, Ilan Shor a accusé la présidente moldave Maia Sandu de « couper délibérément le cordon ombilical des liens (de la Moldavie) avec la Russie et l’Union eurasiatique ». Fervent promoteur d’une voie russe pour son pays, l’homme d’affaires et ancien député ne cache pas ses liens avec le pouvoir russe.
En début d’année, c’est aussi à Moscou, lors d’une rencontre avec le vice-président du Conseil de la Fédération de Russie, Konstantin Kossachev qu’il a annoncé la création d’une ONG destinée à œuvrer au rapprochement entre les deux pays. « Ma mission, expliquait-il sur Pervy Canal, la première chaine de télévision russe, est de montrer que la véritable coopération, l'amitié et les relations avec notre ami historique et partenaire, la Fédération de Russie, sont pour la Moldavie le seul moyen de sortir de l'effondrement et de la situation de crise dans laquelle l'actuel régime pro-occidental moldave l’a placée. »
Mais s’il vit en Russie, c’est aussi parce qu’il est recherché par la justice moldave, qui l’a condamné à 15 ans de prison pour fraude et blanchiment. Lui, se dit victime de représailles politiques et a fui, en 2019, en Israël, pays dont il possède la nationalité. Dans son pays, il est accusé d’avoir détourné un milliard de dollars à trois banques moldaves, dans une affaire qualifiée de « vol du siècle ». « Ilan Shor, c’est l’escroc-aventurier typique de l'espace post-soviétique, il a le profil de l'homme d'affaires fraudeur qui a émergé après l'effondrement de l'Union soviétique », note Ryhor Nizhnikau, chercheur à l’institut finlandais des relations internationales. Mais il est aussi, selon lui, « le principal outil russe de déstabilisation de la Moldavie ».
Outil de déstabilisation
Selon une étude du groupe de réflexion moldave WatchDog, citée par Euractiv, Ilan Shor et un autre oligarque en fuite auraient dépensé plus de 136 000 euros dans le courant de l’été pour diffuser sur les réseaux sociaux des messages de soutien à la Russie. Cela face au processus d’intégration européen de la Moldavie. Selon le quotidien Washington Post, des responsables occidentaux estiment que l’homme d’affaires entretient des liens avec le FSB. Entré en politique en 2015, Ilan Shor a été élu maire d’Orhei, une ville du centre de la Moldavie, qu’il a administrée à coup de subventions. Il y a investi ses deniers pour rénover les routes, installer l’éclairage public ou y créer un parc d’attraction.
Aujourd’hui, réfugié à Moscou, il diffuse par tous les moyens le narratif russe en Moldavie. « Des dizaines de millions d’euros sont dépensés. Pour la Moldavie, ce sont des sommes colossales. L’argent provient de Russie et d’autres sources difficilement identifiables, avance le politologue moldave Alexei Toulboure. Cet argent représente une menace et un danger énorme pour la démocratie et pour l’avenir européen du pays. Ilan Shor et son parti, ce sont des éléments de la guerre hybride menée contre notre État, et cela, bien sûr, constitue une menace pour nous », estime le directeur de l'Institut d'histoire orale de Moldavie.
À la demande du gouvernement moldave, au cours de l'été 2023, la Cour constitutionnelle, a reconnu l'activité de son parti « Shor » comme illégale. Le principal intéressé a lui-même saisi la Cour européenne des droits de l'homme pour contester la légitimité de l'interdiction de son parti.
Marié à une pop-star russe, le trentenaire est né en Israël, ses parents y ayant immigré à la fin des années 1970, avant de retourner en Moldavie à la chute de l’URSS. Son père lui a légué une chaîne de magasins duty-free en Moldavie. Il a aussi été président du conseil d'administration de la Banca de Economii et membre du conseil d'administration de l'aéroport international de Chisinau.
«
Homme politique à usage unique » ?
Dans une interview au journaliste russe Alexei Venediktov, ex-rédacteur en chef de la radio Écho de Moscou (fermée en 2022) sur RTVI, l’oligarque de 37 ans a expliqué qu’il visait le poste de Premier ministre. Cela à l’issue des législatives de l’an prochain, où le parti de centre-droit pro-européen PAS au pouvoir, pourrait perdre sa majorité.
Ilan Shor est-il assuré d’un avenir politique sérieux ? Ryhor Nizhnikau en doute, estimant qu’il est à classer plutôt du côté des « hommes politiques à usage unique ». Si jamais les forces pro-russes remportaient les élections législatives, « l’intérêt d’avoir un homme comme Ilan Shor en serait amoindri. Si cela se produisait, les Russes lui diraient qu’ils n’ont plus besoin de ses services », affirme le chercheur.
En attendant, les activités d’Ilan Shor représentent une menace pour la démocratie moldave, selon Alexei Toulboure. Celui-ci rappelle qu’au printemps 2023, à coups de grosses sommes d’argent, l’homme d’affaires a pu imposer sa candidate Evghenia Guțul, une personnalité jusque-là inconnue du public, à la tête de la région autonome de Gagaouzie. Quelques mois plus tard, « les mesures d'urgence prises par le gouvernement ont permis d’éviter que les partis contrôlés par Ilan Shor, ne remportent les élections locales grâce à l'argent et à la corruption », rappelle le politologue. Deux jours avant le scrutin, la Commission pour les situations d’urgence de Moldavie avait interdit aux quelque 600 000 candidats du parti Chance, un clone du parti Shor interdit, de prendre part aux élections. La décision a ensuite été annulée par un tribunal.
Objet de sanctions européennes et américaines, recherché par la justice de son pays, Ilan Shor continue de mener, à distance, une campagne pro-russe et eurosceptique en Moldavie. Il a depuis peu acquis la nationalité russe. Il possède aussi la citoyenneté israélienne.
À l’approche de la présidentielle du 20 octobre et du référendum sur l’adhésion à l’Union européenne, une mission de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’est rendue en Moldavie. Elle note que « la désinformation, le financement illicite et l'achat de votes soutenus par le Kremlin constituent une menace sérieuse pour la souveraineté, la sécurité et l'intégrité électorale en Moldavie ».