Les élections européennes, qui s’achèvent ce dimanche 9 juin, sont hors normes avec quelque 370 millions d’électeurs pour un vote qui se décline dans 27 pays différents. Et c’est à l’issue de ce scrutin que se dessineront les nouveaux rapports de force au sein de l’hémicycle. Paradoxalement, la seule institution européenne élue directement par ses citoyens est aussi la moins bien connue de l’UE. Elle joue pourtant un rôle de plus en plus important depuis la révision des Traités européens.
Beaucoup d’électeurs pensent que le Parlement européen joue encore aujourd’hui un rôle essentiellement symbolique – et le caractère très national des élections européennes n’aide certainement pas à lutter contre ce préjugé.
Ce fut certes le cas à l’époque où le Parlement n’était pas élu directement, et même après les premières élections directes qui furent instaurées en 1979. Mais, depuis le Traité d’Amsterdam de 1997, et surtout depuis le Traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009, les eurodéputés jouent un véritable rôle de législateurs. « Les lois européennes doivent toujours être adoptées par deux institutions : le Parlement qui représente les citoyens, et le Conseil qui représente les États membres », explique Jaume Duch, porte-parole du Parlement européen. « La Commission est en charge de présenter les propositions, mais c'est le Parlement et le Conseil qui doivent se mettre d'accord pour adopter les lois européennes. Donc, la plupart des lois qui nous affectent tous en tant que citoyen européen sont des lois qui passent par le Parlement européen, qui doivent être adoptées, modifiées, adoptées par ce Parlement européen. »
À ce rôle de législateur s’ajoutent deux fonctions majeures : le contrôle du budget européen et l’investiture de la Commission européenne. Les 720 Européens qui seront désignés ce 9 juin devront approuver la nomination de chaque commissaire, et bien sûr celle du président ou de la présidente de la Commission. « Selon les traités, c'est le Conseil européen et donc les dirigeants des 27 États membres qui vont faire la proposition officielle pour le prochain président de la Commission », rappelle Jaume Duch.« Mais après, c'est le Parlement qui vote, c'est le Parlement qui élit. Et d'ailleurs, les traités prévoient logiquement qu’en cas de refus, le Conseil européen aura un délai d'un mois pour présenter une autre candidature. Donc, la personne qui voudra présider la Commission doit d'abord se faire nommer par les dirigeants européens… Mais après, elle doit obtenir une majorité absolue, plus de 361 voix au sein du Parlement européen. »
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L’enjeu crucial du 9 juin
Ursula von der Leyen, l’actuelle présidente de la Commission qui souhaite être reconduite pour un deuxième mandat, va devoir rassembler une majorité sur son nom… et c’est donc l’un des enjeux majeurs de cette élection. En 2019, l’ancienne ministre allemande de la Défense a été investie avec seulement 9 voix d’avance, et à l’issue de ces nouvelles élections il va lui falloir de nouveau batailler pour obtenir une majorité, ce qui n’a rien de garanti. « Même si le Parti populaire européen qui fédère les partis de droite arrive vainqueur, comme les sondages le prévoient, il devra bien composer comme il l'a fait par le passé avec les sociaux-démocrates qui devraient être le deuxième groupe le plus important à l'issue des élections », décrypte Sébastien Maillard, conseiller spécial de l’Institut Jacques Delors. « Et tout l'enjeu est de savoir quel sera le troisième groupe : les centristes libéraux emmenés par la majorité macroniste en France ? Ou bien, s'ils font un piètre score, le groupe des Conservateurs et Réformateurs qui sera dominé par Giorgia Meloni ? »
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Pour l’heure, la dirigeante italienne a pris soin de ne pas dévoiler ses intentions pour l’après-10 juin. Mais deux possibilités s’offrent à la patronne du parti Fratelli d’Italia, qui devrait sortir en position de force de ces élections, et voir son nombre d’eurodéputés passer de 10 à une bonne vingtaine. Deux scénarios s’offrent à la Giorgia Meloni : accepter une alliance au coup par coup avec la droite conservatrice et avec Ursula von der Leyen, ou bien répondre à l’appel lancé par Marine le Pen, pour une alliance des extrêmes-droites à Strasbourg.
Divergences au sein de l’extrême-droite
« Ce deuxième scénario ne paraît pas crédible pour deux raisons », estime pour sa part Sébastien Maillard, « car il y a des divergences idéologiques et tactiques entre les différentes composantes de l’extrême-droite européenne. La guerre en Ukraine les a vraiment divisées puisque Georgia Meloni est pro-Otan et pour le soutien à l’Ukraine, ce qui n’est pas le cas du RN et des autres composantes du groupe Identité et Démocratie. Par ailleurs, Marine Le Pen a besoin d’être dans un groupe important, qui pèse au sein du Parlement européen – et encore plus depuis la rupture avec l’extrême-droite allemande. En revanche, Georgia Meloni n’est pas du tout dans la même position que Marine Le Pen : elle est au gouvernement, elle a besoin de rassurer ses partenaires, y compris vis-à-vis des marchés financiers. Tactiquement, elle a moins besoin de Marine Le Pen que Marine Le Pen n’a besoin d'elle ».
Pas d’alliance formelle, mais une influence accrue : les formations d’extrême-droite pourraient remporter 25% des sièges au sein du Parlement ! Cela pèsera lourdement sur l’agenda et sur les orientations de la politique européenne dans les années à venir. Avec, notamment, un durcissement à prévoir sur les questions d’immigration et un désintérêt croissant pour la transition énergétique et la défense de l’État de droit.
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